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Présentation

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LA SEMEUSE / Plateforme de recherche

 

LA SEMEUSE
Plateforme de recherche pour une biodiversité Urbaine


À l’origine du projet, l’artiste et architecte Marjetica Potrč, en collaboration avec RozO Architectes a entamé en 2010 une recherche intitulée La Semeuse ou le devenir indigène. A son point de départ, le projet de La Semeuse a été de mettre en relation la biodiversité végétale et la diversité culturelle de la ville d’Aubervilliers. Il s'est par la suite développé sur le principe d'une plateforme d’échanges autour du jardinage et de la sensibilisation du public à la préservation de la biodiversité dans l'espace urbain. Il est actuellement coordonné par Ariane Leblanc qui travaille à tisser des relations entre espaces publics et/ou communs aux albertivillarien(ne)s.

 


 

RESSOURCE ET TRANSMISSION

La Semeuse est une plateforme d’échanges et d’expérimentations autour des questions environnementales, de développement durable et des savoir-faire. Des rencontres régulières sont organisées autour de la grainothèque, des plantes, mais aussi des connaissances de chacun. Véritable réseau de coopération, La Semeuse développe sur un temps long des dynamiques partenariales entre des acteurs du champ environnemental, social et culturel et favoriser ainsi un dialogue et un partage d’expériences.

La Semeuse souhaite faire émerger des moments qui sont susceptibles de nous rendre capables de prêter attention aux êtres humains et végétaux invisibilisés, discrets ou marginalisés qui nous entourent pour mettre en oeuvre des dispositifs d’action et de transmission. Face à la difficulté de trouver des espaces que chacun puissent s’approprier ou encore d’échapper à un temps monnayable, La Semeuse ouvre sa plateforme à la pluralisation et la multiplication d’actions, témoignages, récits, pratiques des acteurs de la ville d’Aubervilliers afin de créer des expériences communes, d’établir un commun à notre échelle.   

La végétation n’est plus un simple outil de décoration. Le végétale est un véritable agent politique qui atteste d’une histoire collective. Elle fait partie intégrante d’une politique et d’une économie réelle. Les habitants ne veulent plus simplement consommer leur espace mais en devenir acteurs. Ils créent ainsi un nouveau type d'urbanisme citoyen, qui passe notamment par le déploiement d’actions menées dans leur quartier. Ainsi les jardins d’Aubervilliers permettent de réactiver la mémoire de cette ville, de la reconnecter à son histoire maraîchère en particulier. Ils permettent aussi de développer des usages qui engrangent de nouvelles relations entre la nature et les humains au sein de la ville.  

La Semeuse est un outil de ressource et de transmission, une plateforme à la disposition de tous. Un lieu d’entraides qui génère des espaces de transmission selon les personnes qui l’activent.

Des rendez-vous réguliers sont mis en place qui prennent différentes
formes : rencontres, conférences publiques, ateliers d’échange et de transmission autour des pratiques, expériences et savoirs des habitants d’Aubervilliers.     

 

LE LIEU, LA MATIÈRE, L’USAGE

La Semeuse, plateforme de recherches pour une biodiversité urbaine, est un projet qui évolue au sein des Laboratoires d'Aubervilliers. Il vise à sensibiliser les usagers de la ville à la biodiversité « spontanée » qui pousse dans les jardins, entre les fissures des trottoirs et dans les friches. Plus connues sous le nom « d’indésirables », ces plantes non domestiquées possèdent des vertus pour les sols, pour l’homme et attestent d’une diversité sauvage en espace urbain. Ces espaces invisibles gardent les secrets d’une biodiversité locale souvent ignorée.

Ces interstices végétales permettent de poser plus largement la question de l’interstice dans la société, celle des identités sexuelles, de la nature qui s’impose hors des jardins et des espaces domestiqués et de la ville dans sa capacité de réinvention quotidienne des usages contre les formes de consommations capitalisées. L’interstice c’est ce qu’il y a « entre » les choses. Il propose une porosité entre les différents types d’espaces urbains pour ouvrir la possibilité aux réappropriations subjectives. L’agir interstitiel permet de jouer sur les règles imposées par l’urbanisme. Les interstices peuvent prendre de multiples formes et offrir de nouvelles logiques d’actions et d’appropriation de l’espace urbain. Ils permettent la création de formes de résistances dans un contexte de forte homogénéisation et de hiérarchisation. Les interstices constituent en quelque sorte une réserve de disponibilité. C’est un moyen d’assouplir les différentes temporalités traversées par les habitants pour en limiter les emprises institutionnelles. Du fait de leur caractère transitoire et mobile, ils laissent deviner ou entrevoir d’autres conceptions possibles dans la conduite d’une activité ou d’autres processus de fabrication de la ville, plus ouverts et collaboratifs, plus réactifs et transversaux. C’est ainsi que « l'ordinaire » (jardiner, jouer, pique-niquer…), qui se construit dans ces espaces, devient expérience sociale et politique.   

 

PROGRAMMATION à venir

Des ateliers seront mis en place tout au long de l’année afin de trouver et de créer des lieux de passage entre l’humain et la nature en ville. L’objet sera de faire parler le paysage d’Aubervilliers à travers l’usage des végétaux de notre espace quotidien invisible.
Ainsi, l’artiste François Génot travaillera à explorer les potentiels d’un lieu laissé en friche pour en extirper sa matière végétale. Il transformera cette matière en outil afin de développer un langage grâce à l’empreinte et la trace des végétaux. Cet inventaire des possibles permettra de créer de nouveaux usages.
Des ateliers de reconnaissance de plantes et d’autres mêlant arts plastiques et plantes sauvages avec l'association Auberfabrik permettront d’activer l’histoire maraîchère de ces espaces en friche et de développer des modalités de transmission. Ces découvertes et expérimentations se feront au travers d'un parcours déambulatoire dans les différents espaces de la ville.

Les plantes ont toujours accompagné les flux humains depuis la colonisation, la plantation coloniale est une organisation sociale économique et politique autour de la matrice végétale. En ce sens la végétation dépasse largement le fait de mettre quelques plantes dans un jardin. L'enjeu du projet n'est pas centré sur les bienfaits écologiques attendu de tout projet de plantation en site urbain ; il est de mettre l'accent sur la végétation comme agent politique, et pour cela de poser la question de la graine et la plante dans l’espace urbain. C’est en ce sens que graines et plantes circuleront dans la ville sous différentes formes. Cela nous amène à poser un autre regard sur Aubervilliers, et de rendre visible l’imperceptibilité de nos espaces quotidiens.

 


 

Suivez l'actualité du projet sur https://semeuse.wordpress.com/

Contactez-nous : Ariane Leblanc
06 95 85 01 61
lasemeuse.aubervilliers@gmail.com





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La Semeuse bénéficie du soutien du Conseil régional d’Île-de-France, de Plaine Commune, de la ville d’Aubervilliers.
Elle a également bénéficié du soutien de la Fondation de France et du Conseil Régional - Action exceptionnelle COP21 pour l'année 2015.

Nous tenons à remercier les personnes qui nous ont aidé en donnant de leur temps et de leur enthousiasme pour faire vivre ce projet et particulièrement à Valérie Lessertisseur, l’association Auberfabrik  (Sylvie Napolitano, Valérie Truong et David Caubère), Alain Chapel des Petits prés verts (Aubervilliers), Yassine Elkherfih du collectif ya+k, Tibo Labat, Morgan Blanc, Louise Lefebvre et Vincent Confortini ( Bloc Paysage), les Jardins ouvriers des Vertus (Aubervilliers), les Bois de Senteur (Aubervilliers), la Crèche Lécuyer (Aubervilliers),  l’ALJ93, l’ADEF, la cité des Fusains (Rivp), la boutique de quartier Paul Bert, les services de la vie associative, de la démocratie locale, de l’économie sociale et solidaire et des espaces verts d’Aubervilliers et de Plaine Commune, Lapeyre.

 

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Ateliers de lecture / Endetter et punir

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Pour cette sixième édition, Les Laboratoires d’Aubervilliers continuent leur programmation des ateliers de lecture qui, à raison d'une rencontre mensuelle, proposent de mener collectivement recherches et réflexions autour de la problématique spécifique abordée depuis différentes disciplines (l’art, les sciences humaines, la politique). Ces ateliers participent à la construction du « Printemps des Laboratoires », projet de recherche partagée qui se décline tout au long de l’année via des workshops, tables rondes, projections jusqu’à l’avènement d'une plateforme publique de rencontres, performances et projections. Ce rendez-vous public, qui aura lieu en juin 2018, en constitue la mise en perspective finale à une échelle internationale. La programmation est articulée chaque année autour d'une problématique spécifique qui cette année, afin de prolonger et d'approfondir les questions, champs et domaines abordés et soulevés l'an passé. Cette année est placée sous le titre de« Endetter et Punir ».

Cette nouvelle édition s’appuie en effet sur la question de la dette dans les pays européens comme une condition intrinsèque à notre être social et humain : nous sommes nés endettés et nous perpétuons cet endettement sur les futures générations. La lutte pour s’en libérer est celle de la construction d’une nouvelle subjectivité humaine, politique et sociale. Loin de la dimension économique qu’une certaine approche politique de la dette s’acharne à mettre en perspective et à débattre, nous postulons que cette dette n’est pas ancrée dans la relation directe à l’argent mais dans nos manières d’agir, dans la privation de nos libertés et dans notre être fondamental. Ce Printemps va donc s’employer à explorer la manière dont s’inventent des formes de politiques alternatives en Europe comme autant de zones génératives de nouveaux modes de vie et de procédures d’attention.

Sous réserve de modifications, les dates de ces ateliers sont les suivantes : les jeudis 5 octobre, 16 novembre, 21 décembre 2017 et les lundis 8 janvier, 12 février, 26 mars, 9 avril et 14 mai 2018.

 


Jeudi 5 octobre 2017 - Atelier #1

Nous avons ouvert ce cycle en présence du sociologue et philosophe italien Maurizio Lazzarato, avec lequel nous allons étudier un extrait de son livre La fabrique de l’homme endetté, publié aux éditions Amsterdam en 2011.
Un enregistrement sonore de cette rencontre a été effectué, il est consutable derrière ce lien : Atelier de lecture #1

 
Jeudi 16 novembre 2017 - Atelier #2

Pour ce second atelier de lecture, nous avons reçu le philosophe François Athané autour de son texte Penser la dette avec Alain Testart. I- L'escalavage comme statut. II- Esclavage du sexe ?, publié le 3 novembre 2016 sur le site « Implications Philosophiques. Espace de recherche et de diffusion ». Un enregistrement sonore de cette rencontre a été effectué, il est consutable derrière ce lien : Atelier de lecture #2

 

Jeudi 21 décembre 2017 - Atelier # 3

Une théorie de l'agir dans un monde frustre. La pensée politique de William James : Pour ce troisième atelier de lecture, nous avons accueilli le philosophe Thibaud Trochu venu présenter deux textes de William James : « le dilemme de la philosophie contemporaine », première leçon du Pragmatisme, publié en anglais 1907 et traduit en français en 1911 ; puis « La vie vaut-elle d’être vécue ? », second chapitre de La volonté de croire, dont la première édition anglaise remonte à 1897, et qui fut traduite et publiée en français en 1916. Cet atelier de lecture nous a permis d'examiner la pensée politique de James qu’il a développée dans ces deux de ouvrages : La volonté de croire (1897) et Le pragmatisme (1907).


Lundi 12 février 2018 - Atelier #4

Pour le quatrième atelier, l'artiste Barbara Manzetti, alors qu'elle mène une « permanence » aux Laboratoires d’Aubervilliers avec les membres du projet Rester. Etranger, conduira avec eux ce prochain atelierautour de Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire, qu’elle propose de mettre en regard de Sens unique de Walter Benjamin ainsi que d’autres textes, tels que des documents administratifs, juridiques et certificats médicaux qui bordent le parcours des réfugiés en France. Nous aborderons ces différents extraits à travers l’exercice de la copie, pour faire advenir une lecture particulière, nous aider à déchiffrer le texte de Césaire et amorcer, on l’espère, nos propres écritures.

 

Atelier de lecture "Endetter et punir" #4

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12. Février 2018 - 16:00» 18:00
Lundi 12 février 2018, de 16h à 18h

 

Pour cette sixième édition, Les Laboratoires d’Aubervilliers continuent leur programmation des ateliers de lecture qui, à raison d'une rencontre mensuelle, proposent de mener collectivement recherches et réflexions autour de la problématique spécifique abordée depuis différentes disciplines (l’art, les sciences humaines, la politique). Ces ateliers participent à la construction du « Printemps des Laboratoires », projet de recherche partagée qui se décline tout au long de l’année via des workshops, tables rondes, projections jusqu’à l’avènement d'une plateforme publique de rencontres, performances et projections. Ce rendez-vous public, qui aura lieu les 2 et 3 juin 2018, en constitue la mise en perspective finale à une échelle internationale. La programmation est articulée chaque année autour d'une problématique spécifique qui cette année, afin de prolonger et d'approfondir les questions, champs et domaines abordés et soulevés l'an passé. Cette année est placée sous le titre de « Endetter et Punir ».

Cette nouvelle édition s’appuie en effet sur la question de la dette dans les pays européens comme une condition intrinsèque à notre être social et humain : nous sommes nés endettés et nous perpétuons cet endettement sur les futures générations. La lutte pour s’en libérer est celle de la construction d’une nouvelle subjectivité humaine, politique et sociale. Loin de la dimension économique qu’une certaine approche politique de la dette s’acharne à mettre en perspective et à débattre, nous postulons que cette dette n’est pas ancrée dans la relation directe à l’argent mais dans nos manières d’agir, dans la privation de nos libertés et dans notre être fondamental. Ce Printemps va donc s’employer à explorer la manière dont s’inventent des formes de politiques alternatives en Europe comme autant de zones génératives de nouveaux modes de vie et de procédures d’attention.

Pour 2018, les ateliers auront lieu un lundi par mois. Pour suivre le programme des ateliers, veuillez vous inscrire à la newsletter des Laboratoires ou au groupe de recherche auprès de Pierre Simon à p.simon@leslaboratoires.org
 

Atelier # 4

Alors que l’artiste Barbara Manzetti mène une « permanence » aux Laboratoires d’Aubervilliers avec les membres du projet Rester. Etranger, elle conduira avec eux le prochain atelier de lecture Endetter et punir autour de Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire, qu’elle propose de mettre en regard de Sens unique de Walter Benjamin ainsi que d’autres textes, tels que des documents administratifs, juridiques et certificats médicaux qui bordent le parcours des réfugiés en France. Nous aborderons ces différents extraits à travers l’exercice de la copie, pour faire advenir une lecture particulière, nous aider à déchiffrer le texte de Césaire et amorcer, on l’espère, nos propres écritures.

Ce texte d’Aimé Césaire, long poème d’une quarantaine de page en vers libre, qui entama l’élaboration du concept de négritude et de sa critique radicale du colonialisme, nous aide à penser l’actualité, les conditions de vie douloureuses des forcés de l’exil, leur traversée et l’écartèlement qu’elle engendre. Un texte fondamental qui nous enjoint à lutter, à penser les relations entre poésie et politique et à partir duquel nous interrogerons les possibilités d’habiter la langue de l’étranger. 


« Le pouvoir d’une route de campagne est autre, selon qu’on y marche, ou qu’on la survole en aéroplane. Et le pouvoir d’un texte est autre aussi, selon qu’on le lit ou qu’on le copie. Qui vole voit simplement la route se poursuivre à travers le paysage, elle se déroule pour lui selon les mêmes lois que le terrain qui l’entoure. Seul celui qui va sur la route apprend de son pouvoir, et comment de ce plat espace-là, qui n’est pour l’aviateur que la plaine s’étendant au loin, elle fait surgir à chacun de ses tournants des lointains, des belvédères, des clairières, des perspectives, comme l’ordre lancé par un commandant fait surgir les soldats d’un front. Seul le texte copié commande ainsi à l’âme de celui qui s’occupe de lui, tandis que le simple lecteur ne prend jamais connaissance des aperçus nouveaux de son intériorité, tels que les dégage le texte, cette route qui traverse la forêt primitive, intérieure, toujours plus dense : car le lecteur obéit au mouvement de son moi, dans l’espace libre de la rêverie, alors que le copiste l’assujettit à une discipline. Voilà pourquoi l’art chinois du copiste fut la garantie ultime d’une culture littéraire, et la copie d'une clé pour les énigmes de la Chine. »

_Walter Benjamin, extrait de Sens Unique,
Editions Payot et Rivages (première parution : 1928)

« Au bout du petit matin...
Va-t-en, lui disais-je, gueule de flic, gueule de vache, va-t-en je déteste les larbins de l’ordre et les hannetons de l’espérance. Va-t-en mauvais gris-gris, punaise de moinillon. Puis, je me tournais vers des paradis pour lui et les siens perdus, plus calme que la face d’une femme qui ment, et là, bercé par les effluves d’une pensée jamais lasse je nourrissais le vent, je délaçais les monstres et j’entendais monter de l’autre côté du désastre, un fleuve de tourterelles et de trèfles de la savane que je porte toujours dans mes profondeurs à hauteur inverse du vingtième étage des maisons les plus insolentes et par précaution contre la force putréfiante des ambiances crépusculaires, arpentée nuit et jour d’un sacré soleil vénérien.
Au bout du petit matin bourgeonnant d’anses frêles les Antilles qui ont faim, les Antilles grêlées de petite vérole, les Antilles dynamitées d’alcool, échouées dans la boue de cette baie, dans la poussière de cette ville sinistrement échouées.
Au bout du petit matin, l’extrême, trompeuse désolée eschare sur la blessure des eaux ; les martyrs qui ne témoignent pas ; les fleurs du sang qui se fanent et s’éparpillent dans le vent inutile comme des cris de perroquets babillards ; une vieille vie menteusement souriante, ses lèvres ouvertes d’angoisses désaffectées ; une vieille misère pourrissant sous le soleil, silencieusement ; un vieux silence crevant de pustules tièdes,
L’affreuse inanité de notre raison d’être.
Au bout du petit matin, sur cette plus fragile épaisseur de terre que dépasse de façon humiliante son grandiose avenir ― les volcans éclateront, l’eau nue emportera les tâches mûres du soleil et il ne restera plus qu’un bouillonnement tiède picoré d’oiseaux marins ― la plage des songes et l’insensé réveil.

Au bout du petit matin cette ville plate ― étalée, trébuchée de son bon sens, inerte, essoufflée, sous son fardeau géométrique de croix éternellement recommençante, indocile à son sort, muette, contrariée de toutes façons, incapable de croître selon le suc de cette terre, embarrassée, rognée, réduite, en rupture de flore et de faune.
Au bout du petit matin cette ville plate ― étalée...
Et dans cette ville inerte, cette foule criarde si étonnamment passée à côté de son cri comme cette ville à côté de son mouvement, de son sens, sans inquiétude, à côté de son vrai cri, le seul qu’on eût voulu l’entendre crier parce qu’on le sent sien lui seul ;  parce qu’on le sent habiter en elle dans quelque refuge profond d’ombre et d’orgueil, dans cette ville inerte, cette foule à côté de son cri de faim, de misère, de révolte, de haine, cette foule si étrangement bavarde et muette.
Dans cette ville inerte, cette étrange foule qui ne s’entasse pas, ne se mêle pas : habile à découvrir le point de désencastration, de fuite, d’esquive. Cette foule qui ne sait pas faire foule, cette foule, on s’en rend compte, si parfaitement seule sous ce soleil, à la façon dont une femme toute on eût cru à sa cadence lyrique, interpelle brusquement une pluie hypothétique et lui intime l’ordre de ne pas tomber ; ou à un signe rapide de croix sans mobile visible ; ou à l’animalité subitement grave d’une paysanne, urinant debout, les jambes écartées, roides.
Dans cette ville inerte, cette foule désolée sous le soleil, ne participant à rien de ce qui s’exprime, s’affirme, se libère au grand jour de cette terre sienne. Ni à l’impératrice Joséphine des Français rêvant très haut au-dessus de la négraille. Ni au libérateur figé dans sa libération de pierre blanchie. Ni au conquistador. Ni à ce mépris, ni à cette liberté, ni à cette audace.
Au bout du petit matin, cette ville inerte et ses au-delà de lèpres, de consomption, de famines, de peurs tapies dans les ravins, de peur juchée dans les arbres, de peur creusée dans le sol, de peurs en dérive dans le ciel, de peurs amoncelées et ses fumerolles d’angoisse.
Au bout du petit matin, le morne oublié, oublieux de sauter.
Au bout du petit matin, le morne au sabot inquiet et docile ― son sang impaludé met en déroute le soleil de ses pouls surchauffés.
Au bout du petit matin, l’incendie contenu du morne, comme un sanglot que l’on a bâillonné au bord de son éclatement sanguinaire, en quête d’une ignition qui se dérobe et se méconnait.
Au bout du petit matin, le morne accroupi devant la boulimie aux aguets de foudres et de moulins, lentement vomissant ses fatigues d’hommes, le morne seul et son sang répandu, le morne et ses pansements d’ombre, le morne et ses rigoles de peur, le morne et ses grandes mains de vent.
Au bout du petit matin, le morne famélique et nul ne sait mieux que ce morne bâtard pourquoi le suicidé s’est étouffé avec complicité de son hypoglosse en retournant sa langue pour l’avaler ; pourquoi une femme semble faire la planche à la rivière Capot (son corps lumineusement obscur s’organise docilement au commandement du nombril) mais elle n’est qu’un paquet d’eau sonore.
Et ni l’instituteur dans sa classe, ni le prêtre au catéchisme ne pourront tirer un mot de ce négrillon somnolent, malgré leur manière si énergique à tous deux de tambouriner son crâne tondu, car c’est dans le marais de la faim que c’est enlisé sa voix d’inanition (un-mot-un-seul-mot et je-vous-en-tiens-quitte-de-la-reine-Blanche-de-Castille, un-mot-un-seul-mot, voyez –vous-ce-petit-sauvage-qui-ne-sait-pas-un-seul–des-dix–commandements-de-Dieu)
Car sa voix s’oublie dans les marais de la faim,
et il n’y a rien, rien à tirer vraiment de ce petit vaurien,
qu’une faim qui ne sait pas grimper aux agrès de sa voix
une faim lourde et veule,
une faim ensevelie au plus profond de la Faim de ce morne famélique
(...)
Au bout du petit matin, au-delà de mon père, de ma mère, la case gerçant d’ampoules, comme un pêcher tourmenté de la cloque, et le toit aminci, rapiécé de morceaux de bidon de pétrole, et ça fait des marais de rouillure dans la pâte grise sordide empuantie de la paille, et quand le vent siffle, ces disparates font bizarre le bruit, comme un crépitement de friture d’abord, puis comme un tison que l’on plonge dans l’eau vive avec la fumée de brindilles qui s’envole... Et le lit de plancher d’où s’est levée ma race, tout entière ma race de ce lit de planches, avec ses pattes de caisses de Kérosine, comme s’il avait l’éléphantiasis le lit, et sa peau de cabri, et ses feuilles de banane séchées, et ses haillons, une nostalgie de matelas le lit de ma grand-mère (au-dessus du lit, dans un pot plein d’huile un lumignon dont la flamme danse comme un gros ravet... sur le pot en lettres d’or : MERCI)
(...)
Partir.
Comme il y a des hommes-
panthères, je serai un homme-juif,
un homme-cafre
un homme-hindou-de-Calcutta
un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas
l’homme-famine, l’homme-insulte, l’homme-torture
on pouvait à n’importe quel moment le saisir le rouer
de coups, le tuer – parfaitement le tuer – sans avoir
de compte à rendre à personne sans avoir d’excuses à
présenter à personne
un homme-juif
un homme-pogrom
un mendigot

mais est-ce qu’on tue le Remords, beau comme la
face de stupeur d’une dame anglaise qui trouverait
dans sa soupière un crâne de Hottentot ?

Je retrouverais le secret des grandes communications et des grandes combustions. Je dirais orage. Je dirais fleuve. Je dirais tornade. Je dirais feuille. Je dirais arbre. Je serais mouille de toutes les pluies, humecté de toutes les rosées. Je roulerais comme du sang frénétique sur le courant lent de l’œil des mots en chevaux fous en enfants frais en caillots en couvre-feu en vestiges de temple en pierres précieuses assez loin pour décourager les mineurs. Qui ne me comprendrait pas ne comprendrait pas davantage le rugissement du tigre. »

_ Aimé Césaire, extrait de Cahier d’un retour au pays natal,
Editions Présence Africaine, collection poésie, 1983
(première parution : 1939)

 


Plus d'informations sur le projet Rester. Etranger
http://rester-etranger.fr/

 


image _ Barbara Manzetti _ tous droits réservés

 


Labo des Labos

Atelier de lecture "Endetter et punir" #3

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21. Décembre 2017 - 16:00» 18:00
Jeudi 21 décembre 2017, de 16h à 18h

Pour cette sixième édition, Les Laboratoires d’Aubervilliers continuent leur programmation des ateliers de lecture qui, à raison d'une rencontre mensuelle, proposent de mener collectivement recherches et réflexions autour de la problématique spécifique abordée depuis différentes disciplines (l’art, les sciences humaines, la politique). Ces ateliers participent à la construction du « Printemps des Laboratoires », projet de recherche partagée qui se décline tout au long de l’année via des workshops, tables rondes, projections jusqu’à l’avènement d'une plateforme publique de rencontres, performances et projections. Ce rendez-vous public, qui aura lieu les 2 et 3 juin 2018, en constitue la mise en perspective finale à une échelle internationale. La programmation est articulée chaque année autour d'une problématique spécifique qui cette année, afin de prolonger et d'approfondir les questions, champs et domaines abordés et soulevés l'an passé. Cette année est placée sous le titre de « Endetter et Punir ».

Cette nouvelle édition s’appuie en effet sur la question de la dette dans les pays européens comme une condition intrinsèque à notre être social et humain : nous sommes nés endettés et nous perpétuons cet endettement sur les futures générations. La lutte pour s’en libérer est celle de la construction d’une nouvelle subjectivité humaine, politique et sociale. Loin de la dimension économique qu’une certaine approche politique de la dette s’acharne à mettre en perspective et à débattre, nous postulons que cette dette n’est pas ancrée dans la relation directe à l’argent mais dans nos manières d’agir, dans la privation de nos libertés et dans notre être fondamental. Ce Printemps va donc s’employer à explorer la manière dont s’inventent des formes de politiques alternatives en Europe comme autant de zones génératives de nouveaux modes de vie et de procédures d’attention.

Pour 2018, les ateliers auront lieu un lundi par mois. Pour suivre le programme des ateliers, veuillez vous inscrire à la newsletter des Laboratoires ou au groupe de recherche auprès de Pierre Simon à p.simon@leslaboratoires.org


 

Atelier # 3

Une théorie de l'agir dans un monde frustre. La pensée politique de William James.

 

Pour ce troisième atelier de lecture, nous accueillons le philosophe Thibaud Trochu qui viendra présenter deux textes de William James : « le dilemme de la philosophie contemporaine », première leçon du Pragmatisme, publié en anglais 1907 et traduit en français en 1911 ; puis « La vie vaut-elle d’être vécue ? », second chapitre de La volonté de croire, dont la première édition anglaise remonte à 1897, et qui fut traduite et publiée en français en 1916.

Au début du 20e siècle, la philosophie pragmatiste de William James est le plus souvent perçue en Europe comme l’incarnation de la mentalité affairiste et opportuniste nord-américaine. A la même époque, James n’en condamnait pas moins « l’infâme déesse-succès » qui gangrénait selon lui la vie morale de son pays. Depuis une vingtaine d’année, cet auteur est l’objet d’une redécouverte et d’une réévaluation en Europe et en France, à l’initiative de Gilles Deleuze notamment.

A l'occasion de cet atelier de lecture, on examinera la pensée politique de James qu’il a développée dans ces deux de ouvrages : La volonté de croire (1897) et Le pragmatisme (1907). Il a cherché à y construire une théorie des dispositions à agir et à créer dans un monde incertain, frustre et pluraliste.

 

Thibaud Trochu est docteur en philosophie de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et actuellement post-doctorant au Centre Alexandre-Koyré d’Histoire des Sciences et des Techniques EHESS/CNRS/MNHN. http://koyre.ehess.fr/index.php?2035
En 2018, paraîtra son premier livre, William James. Psychologie des états seconds, Paris, CNRS éditions.


Labo des Labos

Pratiques de soin et Collectifs / saison 3

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Ateliers
Pratiques de soin et collectifs / Saison 3

 

Dans le cadre du séminaire Quelles autonomies ?, programmé aux Laboratoires d'Aubervilliers par Josep Rafanell i Orra, nous proposons de scander ce cycle de rencontres avec des ateliers de Pratiques de soin et Collectif― en forme de continuité des deux premières saisons du séminaire au titre éponyme programmées aux Laboratoires depuis janvier 2016.

Ces ateliers s'adressent à des personnes et collectifs qui souhaiteraient s'impliquer dans une réflexion commune et dans la construction de manières concrètes de prendre soin. Ils concernent les mondes de la psychiatrie, de la maladie somatique, de l'enfance, de l'expérience de l'exil, de ce qui fait lieu dans l'espace de la métropole depuis les perspectives multiples des cohabitations entre les humains et les non-humains.

Avec ces groupes de travail, dans l'objectif de constituer une dynamique d'enquête politique, nous voudrions contribuer à une intensification de la singularité de différentes pratiques, à leur enchevêtrement, à des processus de liaison et d'influence mutuelle entre celles-ci.

 

Ces ateliers sont ouverts à des personnes et collectifs qui souhaitent s'impliquer concrètement dans ces dynamiques de travail et de réfelxion.

Ceux qui voudraient y participer peuvent s'adresser directement à
Josep Rafanell i Orra : jrafanell@orange.fr

 

 

 

Séminaire Quelles autonomies ? - Rencontre #4

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22. Février 2018 - 19:00» 22:00
Jeudi 22 février 2018, à 19h

 

Comment faire émerger des milieux, y compris à l'école, en traçant les ébauches d'une pensée écologique de l’enfance, d’un réenchantement des objets techniques, d'une exploration sensible du trans-individuel face aux ravages de la rationalité capitaliste ?

Jeudi 22 février 2018, à 19h

Rencontre discussion

 

Avec Fanny Béguery et Adrien Malcor, artistes plasticiens, nous échangerons autour de leur expérience de création artistique avec des enfants, dans plusieurs écoles de la vallée de la Dordogne. Sera Comment faire émerger des milieux, y compris dans un cadre scolaire, en traçant les ébauches d'une pensée écologique de l’enfance, d’un réenchantement des objets techniques, d'une exploration sensible du transindividuel face aux ravages de la rationalité capitaliste ?


« (...) les barrages ont une grande place dans le territoire des enfants avec qui nous avons travaillé, quand bien même ils ne les visitent pas tous les jours : il y a des histoires de famille, des légendes, cela fait partie du milieu de vie, avec sa dimension imaginaire. Ce n’est pas rien, cette idée du milieu de vie, c’est quasiment un outil de travail chez Freinet, mais c’est aussi le concept fondateur de l’écologie bien comprise. L’écologie à l’école, ce n’est pas parler aux enfants des petits oiseaux et des éoliennes, c’est sentir et faire sentir à l’enfant que l’école est un milieu de vie, pris dans un certain rapport (continuité ? contiguïté ?) avec d’autres milieux de vie, familiaux, technologiques, etc ».

_ Extrait d'un entretien avec Fanny Béguery et Adrien Malcor, autour de leur ouvrage Enfantillages outillés. Un atelier sur la machine, Paris, éditions L’Arachnéen, 2016.

 

 

Entrée libre et gratuite sur réservation à
reservation@leslaboratoires.org ou au 01 53 56 15 90

 

 

images _ tous droits réservés

 

Labo des Labos

Du film performatif / lancement

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16. Février 2018 - 19:00» 21:30
Vendredi 16 février 2018, 19h

 

LANCEMENT
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Du film performatif

publié aux éditions it: sous la direction d’Érik Bullot
avec le soutien des Laboratoires d’Aubervilliers, du MAC VAL,
de pointligneplan et du Cnap

Vendredi 16 février 2018, à 19h
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Entrée libre sur réservation

à reservation@leslaboratoires.org

 

Lors d’une soirée en présence d’Érik Bullot, Thomas Clerc, Franck Leibovici, Silvia Maglioni et Graeme Thomson, Simon Ripoll-Hurier, Roland Sabatier, seront lus et présentés, sous une forme ouverte et participative, des éléments du livre Du film performatif publié aux éditions it: sous la direction d’Érik Bullot.

De nombreuses performances artistiques aujourd’hui se proposent de remplacer le film par son énoncé sous la forme d’une conférence illustrée ou d’une lecture. Des fragments d’un film à venir (photographies, documents, fragments de scénario) sont présentés en guise du film lui-même. On peut s’interroger sur ces nouveaux formats. De quoi sont-ils le symptôme ? S’agit-il d’un futur performatif du cinéma ?

Proposons cette définition du film performatif : un événement, unique ou susceptible de reprises, qui actualise, à travers une série d’énoncés, verbaux, sonores, visuels, corporels, émis par un ou plusieurs participants en présence de spectateurs, un film virtuel, à venir ou imaginaire. Situé entre les différents médiums — conférence, film, théâtre, performance —, le film performatif en exacerbe chacune des puissance. Réduit à son simple énoncé, le film s’actualise sous les yeux des spectateurs en exposant l’ensemble de la chaîne de fabrication, de la simple intuition à sa cristallisation plastique, renvoyant l’artiste à la fonction de producteur.

Du film performatif esquisse une cartographie de ces nouvelles pratiques en proposant à des artistes et des cinéastes de livrer des documents relatifs à leur expérience performative : textes, comptes-rendus, suites visuelles ou entretiens.

Avec Érik Bullot, Filipa César, Esperanza Collado, Thomas Clerc, Alexis Guillier, Franck Leibovici, Silvia Maglioni et Graeme Thomson, Peter Miller, Rabih Mroué, Uriel Orlow, Simon Ripoll-Hurier, Roland Sabatier, Clara Schulmann.

Cet ouvrage a été réalisé grâce au soutien des Laboratoires d’Aubervilliers, du MAC VAL (Musée d’art contemporain du Val de Marne), de pointligneplan et du Centre national des arts plastiques (Cnap).

 

 

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256 pages. Broché. Format : 165 x 240 mm.
Conception graphique : Camille Garnier.
Traduction : Zoé Baraton, Érik Bullot, Thibaut Gauthier, Marie-Laure Lapeyrère.
Isbn: 978-2-917053-29-4. Sortie : janvier 2018.
Prix public : 24 euros.

Éditions it:

 

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Entretien avec Marcelline Delbecq

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Entretien avec Marcelline Delbecq

Léa Bosshard : J’amorce notre entretien avec la notion de témoin depuis laquelle nous avons souhaitons t’inviter à participer à cette recherche. Voici la définition qu’en donne Rémy : "« Le latin a deux termes pour désigner le témoin. Le premier, testis, dont vient notre « témoin », signifie à l’origine celui qui se pose en tiers entre deux parties (terstis) dans un procès ou un litige. Le second, superstes, désigne celui qui a vécu quelque chose, a traversé de bout en bout un événement et peut donc en témoigner »(1).  Le témoin dans mon travail est l’incarnation, la condensation de ces deux définitions. A ces deux définitions il faut également ajouter celle du contrepoint en composition. Le témoin serait donc a minima l’incarnation de la figure du contrepoint." Comment comprends-tu à ton tour ce témoin ?

Marcelline Delbecq : C’est intéressant que ce projet me donne pour la première fois l’occasion de réfléchir à la notion de témoin sur laquelle je ne me suis jamais véritablement penchée en tant que telle alors qu’elle est, me semble-t-il au cœur de l’acte photographique et de sa réception sur lesquels en revanche je réfléchis depuis un certain temps. J’aimerais développer deux axes, dont je ne suis pas encore certaine qu’ils soient cohérents entre eux ni légitimes (il s’agit plutôt d’une intuition) : interroger la figure de témoin qui n’aurait pas vu/entendu/vécu un événement (cette notion existe en justice, il s’agit d’un témoin qui rend compte d’une expérience qu’il s’est appropriée par ouïe dire), en l’associant à la question « Peut-on être témoin de ce que l’on n’a pas vu ? ». Auxquelles s’ajoutent les notions de témoin de l’ordinaire, et de témoin sans conscience de l’être. Par exemple, à chaque instant, nous sommes témoins de quelque chose : une feuille qui s’envole, un pied qui se tord, un avion qui laisse une trace dans le ciel, un éternuement. Pour autant, nous n’enregistrons pas ces informations comme étant d’importance, non seulement parce qu’à priori elles n’en sont effectivement pas (ou en tout cas elles n’ont pas de prise directe sur notre propre existence), mais aussi parce que ces actions dont nous sommes les témoins ne produisent rien qui soit digne d’être relevé : ni liesse ni drame. Il va de soi que si nous devions enregistrer comme « évènementielles » les moindres choses dont nous sommes les témoins directs au quotidien, nous serions submergés de faits, d’images, d’actions sans que pour autant elles produisent de réaction ou de pensée a posteriori. Or, quelle que soit sa situation, un témoin est un passeur : une personne qui fait le lien entre un événement notable et sa pérennité. Le témoin est celle ou celui qui est en mesure de faire exister à nouveau, par ses paroles, ses gestes, une situation que les gens qui s’adressent à elle ou lui n’ont en général pas partagée. Le témoin, quand il est amené à s’exprimer, a donc une forme de responsabilité de transmission. Quid de celle d’un témoin qui n’aurait rien vécu ?

L.B. : Qu’est ce que cela convoque pour toi dans l’écriture et/ou dans l’image ?

M.D. : C’est un peu tôt pour en parler, car justement ce temps de travail va permettre de creuser de nombreux axes de réflexion de visu (en passant du temps sur le lieu du Stade Sadi-Carnot et dans ses environs), dans l’écrit (dans un aller-retour entre les notes prises sur place et les notes de lecture d’ouvrages liés au projet) et dans les images, celles qui seront produites à l’occasion comme celles qui existent déjà. Il est en effet question de travailler à partir des archives de Pantin et ainsi de remonter à un passé dont le lieu lui-même ne porte plus de trace. Je ne sais évidemment pas bien encore ce qui va naître de tout cela (une lecture ? Une publication ? Un film ?) mais ce sera une très bonne occasion d’expérimenter entre la réalité du lieu et l’écriture d’une forme d’histoire qui lui soit afférente.

Ces derniers temps, j’ai lu un certain nombre de textes sur la notion de témoin et il y est en majorité question de la Shoah. C’est incontournable, cela va de soi. La Shoah est un moment de l’Histoire tellement inconcevable en pensée que les témoignages sont cruciaux. Tout avait été pourtant mis en place pour annihiler la moindre trace. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit lors du génocide perpétré par les Allemands en Namibie à partir de 1904 (2). C’était le préambule évident à ce qui serait mis en place en Europe quelques quarante ans plus tard, abomination qui a décimé dans le plus parfait silence deux peuples entiers en quatre ans (Les Nama et les Héréro). Des centaines de milliers de morts dont personne n’a eu vent, exterminés d’abord à la mitrailleuse, ensuite selon une logique concentrationnaire réutilisée à l’encontre des déportés en Europe, juifs, homosexuels, tziganes, prisonniers de guerre. Une implacable logique d’extermination dont personne n’a parlé parce qu’elle a eu cours en Afrique. Les images, car il y en a eu, n’ont jamais circulé.
Il y a aussi le cas terrifiant des films mis en scène par les nazis dans les ghettos de Lodz, de Cracovie ou de Varsovie, dont l’historienne Sylvie Lindeperg parle très précisément dans un entretien avec Jean-Louis Comolli (3). Goebbels avait donné l’ordre de tourner dans les ghettos pour « fixer » le peuple juif avant sa disparition. Constituer une archive de celles et ceux qui devaient être annihilés pour légitimer leur éradication (puisqu’ils n’étaient dignes que d’être comparés à de la vermine), tout en les faisant jouer des rôles mensongers, conformes aux visions antisémites. C’est un cas extrême d’objet : une archive mensongère qui ne témoigne que de l’horreur qu’elle fait semblant de dissimuler.

La question de la valeur de témoignage d’un témoin ou d’une image continue de faire débat, car entre la parole du témoin et le silence de l’image, l’équilibre est parfois très fragile. L’image peut témoigner mais ne donne qu’une infime partie de la réalité factuelle. Elle montre autant qu’elle donne à interpréter. Les photographies et les films sont enregistrés par une machine dont un être humain est l’opérateur, choisissant son cadre, même si par défaut. Les témoins, quant à eux, ont la fragilité de l’humain sans machine : on peut mélanger souvenirs et reconstitutions, oublier aussi. La chimie du cerveau et de l’organisme entier peut produire des réactions intervenant sur la remémoration. C’est d’ailleurs pour cela qu’une équipe d’historiens a mis en place un suivi des témoins du 13 novembre (4) pour les dix prochaines années : parce que l’on sait que le témoignage se modifie, s’altère ou s’enjolive avec le temps, auquel s’additionne tout ce qui est lu, entendu et vécu par le témoin qui demeure en vie. Cet « observatoire », qui engage aussi des psychologues et des neurologues, a été pensé parce que les spécialistes se sont justement rendu compte que certains témoignages de la Shoah avaient été recueillis trop longtemps après les faits. Parce qu’on ne voulait pas savoir, mais aussi parce que certains témoins étaient incapables de mettre en mots. Et que lorsque dites, ces paroles étaient particulièrement difficiles à écouter. À la libération des camps, les anglo-saxons qui ont filmé n’ont pas cru ce qu’ils voyaient. Le réalisateur Samuel Fuller, qui n’a développé qu’en 1986 le film qu’il avait tourné à Falkenau en 1945, images qu’il commente dans le film Falkenau, vision de l'impossible d’Emil Weiss, raconte : « Je ne pouvais pas voir mon film car il est cette nuit en Tchécoslovaquie, la fin de toute cette guerre, c’est l’Impossible. Pas l’Incroyable, ni l’Horrifiant, mais un mot simple, que tout le monde peut comprendre, un seul mot. La chose importante, c’est que l’Impossible nous choquait, mais pas au sens où l’on utilise le mot “choc”. C’est plus fort que de rendre malade ou d’horrifier. C’est hypnotiser. Et le silence parmi nos soldats était très lourd, quatre ou cinq jours durant, on a gardé le silence ». Il n’avait pas développé son film pour éviter de se confronter à la réalité de ce qu’il avait vu en le filmant, pour ne pas faire face à une réalité enregistrée par lui-même et dont il ne parvenait à se détacher, témoin pourtant impuissant.

Il y a deux ans, le Musée d’Orsay m’a demandé d’écrire un texte à partir des photographies de l’exposition Qui a peur des femmes photographes 1839-1945. Ce texte existe, il s’appelle À la dérobée et a été écrit à partir de documents (photographies et films) réalisés par des femmes à travers l’histoire (de l’Angleterre victorienne au présent). J’avais, entre autres, sélectionné une photographie absolument bouleversante d’une femme, photographiée par une autre femme dans le camp de Ravensbrück en octobre 1944, relevant son manteau dans un geste bref pour montrer des cicatrices sur ses jambes (5). Elle était cobaye d’un chirurgien nazi qui pratiquait sur les « lapins » (leur surnom) des expériences pseudo-médicales. Le fait que cette femme montre à une autre, clandestinement, ce qui se perpétrait à travers elle, et qu’un sourire grimaçant accompagne ce geste comme pour dire « regarde, et montre ce que tu as vu » m’a rendue muette. L’abomination de cette situation furtive pourtant capturée par la photographe et donnée à voir pour la postérité (c’est l’ethnologue Germaine Tillion, internée à Ravensbrück, qui a porté autour du cou dans un petit sac en laine la pellicule, pendant des mois) m’ont totalement empêchée d’écrire quoique ce soit à partir de cette photographie. La photographe me rendait témoin d’une situation dans laquelle j’aurais sans doute été de la plus grande impuissance si je l’avais vécue. Cette photographie parlait d’elle-même, aucun mot de ma part ne pouvait y apporter quoique ce soit. J’ai fini par ne plus pouvoir la regarder tant mon impuissance à lui rendre justice était flagrante. J’avais honte d’en être le témoin a posteriori, même si reconnaissante à la photographe d’avoir pris ce risque pour que celles et ceux qui verraient cette image comprennent qu’une telle chose ait pu exister. Cette image est aussi née d’une force de résistance incroyable : ces femmes savaient que si les images leur survivaient, elles agiraient en tant que témoins.

Ce rapport inévitable de la question du témoignage à la Shoah m’obligera aussi à étudier des textes dont j’ai toujours reculé la lecture (Charlotte Delbo, Primo Levi, Robert Anthelme, Giorgio Agamben), parce que justement l’écrit contient en lui une formidable capacité à imprimer l’effroi durablement en soi. Je n’ai jamais pu terminer La Nuit d’Elie Wiesel car je revivais en cauchemars ce qu’il y décrit. Ce qui est cependant intéressant avec l’écrit, c’est que l’on choisit de le lire, on choisit de continuer ou d’en stopper la lecture. Une image, en revanche, a quelque chose de bien plus abrupt, et donc une violence immédiate : on peut tomber sur une photographie par hasard et une fois vue, on a beau détourner la tête de l’écran, dissimuler ses yeux ou fermer le livre ou le journal dans lequel elle est imprimée, on ne peut plus l’effacer, elle se loge quelque part dont on voudrait la déloger, mais sans succès. Seul le temps y fait, s’il y parvient. C’est ce que Susan Sontag a souvent raconté, ce basculement qui s'est opéré en elle à la vue de photographies des camps nazis dans une librairie de Santa Monica en 1945. Elle avait douze ans et n'avait entendu parler de rien. Elle raconte cette sidération à la vue d'images qu'elle-même n'aurait jamais pu imaginer et encore moins songer être réelles, images dont elle comprend instantanément la charge mais dont le mutisme la laisse dans l'inconnu de ce qui en est l'origine. On voit à quel point la Shoah habite cette notion de témoin, et si j’ai déjà abordé la question à distance dans certains textes (… poudre aux yeux, alibi notamment), je suis aussi très frileuse car une partie de ma famille a miraculeusement échappé à la déportation. D’où puis-je donc parler puisque mes proches ont été
épargnés ?

Dans une logique qui n’est pas sans lien, je m’intéresse aussi beaucoup aux témoignages sur Hiroshima, car les survivants au Japon ont vécu l’enfer d’avoir été victimes jusque dans leur survie. Le film Lumières d’été de Jean-Gabriel Périot commence par un extraordinaire témoignage d’une survivante face à un caméraman japonais installé en France. Cette scène dure presque une demi-heure : la femme âgée et très belle raconte, comme si cela venait de se passer, le moment où son existence a basculé. Je me suis posé la question de l’écriture du scénario, si cette femme est réellement une survivante ou si c’est une comédienne qui raconte le récit d’une survivante, ou si encore le cinéaste a écrit cette partie d’après ses lectures, ses rencontres. Ce que dans le film on prend de fait pour un témoignage réel peut en fait avoir plusieurs types d’implication ou de distance par rapport à l’événement lui-même (en l’occurrence, la femme filmée est une comédienne de mime). Dans son texte Hiroshima, l’écrivain britannique John Berger réagit à des dessins réalisés par des survivants un demi-siècle après le largage de la bombe atomique le 6 août 1945. Et c’est peut-être un exemple de la limite de celui qui n’a pas vu : à travers l’observation de ces dessins, Berger veut se faire l’écho d’un événement qu’il n’a pas vécu pour le dénoncer et en dénoncer d’éventuelles répliques. Or il n’a « rien vu » à Hiroshima. Certes, il ne prétend pas témoigner des faits et ce dont il se souvient est l’annonce de la nouvelle à des milliers de kilomètres de l’impact, alors qu’il était jeune soldat. L’axe central de son essai est de faire prendre conscience que le nucléaire est dévastateur car il l’a été dans sa plus extrême mesure à l’encontre du peuple japonais. C’est tout à son honneur mais cela pose aussi la question des limites de l’écrivain : si dans l’absolu on peut écrire sur tout, et ainsi se transformer en témoins, ou du moins en passeurs, d’évènements non vécus (du plus banal au plus tragique), d’où écrit-on ? Est-ce qu’un texte écrit par un occidental n’ayant jamais fait l’expérience d’une bombe atomique peut être aussi juste qu’un dessin de témoin ? Ou que la photographie d’une montre de la série de Shomei Tomatsu que l’on pouvait voir l’été dernier à la Maison Européenne de la Photographie et sur laquelle, hypnotisée moi aussi, j’ai écrit pour le magazine Art Press ?

(…) Montre déterrée à environ 0,7km de l'épicentre, 1961 de Shomei Tomatsu fait partie d’une série amorcée en 1961, soit une quinzaine d'années après le largage des bombes atomiques les 6 et 9 août 1945. La montre retrouvée si près de la déflagration de Nagasaki a été arrêtée par le souffle à l'heure précise où celle-ci a eu lieu, 11h02. Contrairement à la plupart des gens et des objets situés au même moment dans un rayon de plusieurs kilomètres, la montre n’a pas fondu. Mais la capture photographique semble l’arrêter une seconde fois, stoppant le compte des minutes mais pas le cours de l'histoire, marquant au fer blanc le flux continu d'un temps suspendu contenant en lui le chaos. Pourtant, cette montre devient aussi le symbole de tout un pays résolument tourné vers l’avenir en dépit d’une histoire régulièrement mise à mal. Et les photographes, dans leur intransigeance et leur engagement, veillent à perpétuer pour leurs pairs la mémoire et la lumière que toute photographie contient en elle (6).

On peut bien sûr se demander quelle légitimité m’a poussée à écrire sur un événement si distant ; Berger avait lui, au moins, vécu la contemporanéité de l’événement. Dans mon cas, j’ai eu l’impression d’écrire avant tout sur des images d’objets qui, photographiés bien après les faits, n’avaient rien perdu de leur force dévastatrice et continuaient, bien plus longtemps après, à mettre les spectateurs face à leur propre rôle de témoin d’une image. Effet tétanisant de ce qu’ont produit des faits « Impossibles », pour reprendre l’expression de Samuel Fuller.

Deux autres ouvrages qui me semblent importants dans leur lien avec la notion de témoin sont Testimony de Charles Reznikoff et La vie des hommes infâmes de Michel Foucault. Dans les deux cas, il s’agit de récits empruntés à ou écrits à partir d’archives judiciaires. Reznikoff prend le parti radical de s’en tenir à l’énonciation de faits tels qu’enregistrés par l’administration judiciaire aux Etats-Unis. Chaque affaire fait l’objet de quelques lignes, suffisantes pour transmettre la teneur de la situation sans réécriture et ainsi témoigner de l’état des souffrances des américains en proie à la justice. Dans son texte de 1977, Michel Foucault part lui aussi d’archives qu’il utilise comme base pour analyser la contradiction de la situation : s’ils n’avaient pas eu affaire à la justice, ces femmes et ces hommes condamnés seraient restés parfaitement anonymes. Mais leur menu larcin ou l’accusation portée à leur encontre les fait tout à coup devenir partie prenante de l’Histoire.

Mais revenons au contemporain, sur lequel il est, dans mon cas, beaucoup plus difficile d’écrire. Comme je le disais, l’idée d’aborder la question de témoin n’ayant pas vu est une première intuition, idée comme un fil rouge dont je saurai en travaillant si elle a lieu d’être. Cela m’a permis en tout cas, et grâce à Rémy qui venait de lire ce livre, de rencontrer Adrien Genoudet avec qui je vais travailler pendant cette résidence. Il se pourrait d’ailleurs que nous produisions une forme commune. Historien et cinéaste, Adrien Genoudet est aussi assistant de Patrick Boucheron au Collège de France, et a publié en septembre 2017 un livre très marquant intitulé L’étreinte. Dans ce texte assez inclassable que je vais malhabilement résumer, il écrit une sorte d’écho très personnel aux évènements du 13 novembre, évènements que nous avons pour la plupart vécus quasiment en direct et dans la plus grande sidération sans en avoir été témoins. Il parvient de manière virtuose à nous faire partager son témoignage de quelque chose qu’il n’a pas vécu, mais en tant que témoin dont l’écriture seule assure le témoignage : celui d’un état, d’un élan, qui conduisent l’auteur/narrateur dans une quête haletante entre présent immédiat et chemins de traverses historiques. Je me réjouis vraiment de collaboration et de travailler avec lui sur la réalité du stade, de ce lieu qui ne fait pas encore partie de notre histoire mais va le devenir, un lieu dont le présent, le passé et le futur vont nous donner matière à aborder cette passionnante notion de témoin. Ce sera l’occasion de mener une recherche très documentée car on peut difficilement écrire l’histoire d’un lieu sans le témoignage de celles et ceux qui le fréquentent ou l’ont fréquenté, de près ou de loin. Et cela n’empêche pas la fiction ou l’extrapolation.

L.B. : Me revient aussi en mémoire votre dialogue avec Ellie Ga où tu parles d’une vidéo d’émeute où la caméra devient témoin au-delà du caméraman, puis de la lune filmée en Syrie qui elle au contraire manifeste un témoignage immuable et qui ne dit rien d’autre qu’elle-même. Il y a là deux registres de témoin qui soulignent la charge politique contenue intrinsèquement, que l’on retrouve aussi dans la définition qu’en donne Agamben. Je trouvais intéressant de revenir sur ces exemples qui marquent les liens plus ou moins évidents entre la vue, l’évènement et le témoin qu’on aurait tendance à lier de façon intrinsèque.

M.D. : Je me permets de reprendre cette partie de Dialogue (7) dont tu parles, où j’évoque ces deux courtes vidéos montrées par l’historienne Cécile Boëx, historienne enseignante à l'EHESS spécialiste du monde arabe, lors du séminaire du Bal organisé par Bertrand Schefer, L’image événement intérieur, en octobre 2016 (8).

… « Ne pouvant plus se rendre en Syrie où elle a vécu et travaillé dix ans, elle (Cécile Boëx) concentre sa recherche sur ce qui est mis en ligne. Mais sur ce qui, justement, dans la masse d'images, de films et de documents mis à disposition de manière confuse, dans le fourbi d'une histoire contemporaine qui s'écrit au moment même où elle advient, ne montre presque rien ou si peu que personne ne prend le temps de regarder et de garder ces documents, personne ne les trouve suffisamment chargés pour être dignes de persister pour que l'histoire de l'histoire puisse s'écrire. Deux des exemples qu'elle a montrés et développés m'ont marquée au fer blanc. L'un est une vidéo, montée directement sur un téléphone, d'une pleine lune filmée depuis un balcon ou un toit, de loin d'abord puis zoomée. Je ne sais plus ce que dit la voix de celui qui filme, je crois qu'il donne la date en continuant à filmer la lune de ce soir-là. Or c'est justement parce que personne n'a sans doute pris le temps de regarder la lune dans le chaos, qu'elle devient dépositaire de ce qui est arrivé ce soir-là, à cet endroit-là. Elle seule sait, témoin infaillible depuis bien avant qu'il y ait des humains sur terre. Le deuxième film était celui d'un caméraman filmant une embuscade. On regarde avec le caméraman à travers son viseur, on voit ce qu'il voit, ce qu'il a vu. Puis on entend le claquement sec d'un tir et la caméra tombe à la renverse tout en continuant à filmer. Les voix autour s'agitent mais la caméra ne bouge plus, fait la morte à la verticale tout en continuant à filmer ce que le caméraman n'a jamais pu voir et que pourtant dans son malheur il nous montre. Plusieurs choses sont sidérantes dans cette séquence : le fait de continuer à voir à la place du caméraman, le fait d'assister à la rapidité d'une exécution triviale, le fait d'être soi-même le caméraman et de s'en sortir vivante. Si justement je me protège énormément des images des médias, celles-ci continuent de me donner à réfléchir parce que justement ce qu'il y avait à y voir allait bien au-delà de ce qui était vu ».

Je ne crois pas avoir besoin de revenir sur ce qui m’avait frappée dans ces vidéos, le texte le dit mieux que je ne pourrais le réécrire aujourd’hui. Par contre, ce qui est intéressant et que je réalise a posteriori et pour cet entretien, c’est que Cécile Boëx, historienne privée de son terrain d’étude, puisse trouver sur internet, dans les images fixes ou animées sans cesse mises en ligne, matière à continuer sa recherche. Ne pouvant pas être témoin direct sans que ce soit au péril de sa vie, elle utilise les témoignages d’ordres très différents de celles et ceux qui vivent les évènements et les retransmettent, pour à son tour pouvoir écrire, au fil de son déroulé, une histoire de la Syrie contemporaine en plein chaos. Et pour comprendre ce qui se passe en Syrie comme partout ailleurs, il faut aussi, me semble-t-il, des témoins d’une autre sorte, tenus à distance, capables d’analyser les faits sans les avoir forcément vécus. Je viens d’ailleurs de relire Passages de l’histoire de Dork Zabunyan, un formidable petit livre publié dans la collection Faux Raccord chez Le Gac Press, dans lequel il parle déjà, en 2012, de la difficulté à appréhender ces images amateurs mises en ligne, à penser leur appropriation par des cinéastes européens et leur devenir-archive pour une écriture de l’histoire à la fois désordonnée et essentielle.

 

 

 

1/-  AGAMBEN Giorgio, Ce qui reste d’Auschwitz, Rivages Poche, Petite Bibliothèque, 2003, Paris, p 17.

2/-  https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-lhistoire/expositi...

3/-  Images d’archives : l’emboîtement des regards, entretien avec Sylvie Lindeperg, Images documentaires 63, 2008

4/-  https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-lhistoire/une-hist...

5/-  Catalogue de l’exposition Qui a peur des femmes photographes ? Musée d’Orsay et éditions Hazan, 2015, p. 255, illustration 276

6/-  https://www.artpress.com/2017/07/20/memoire-et-lumiere-photographie-japo...

7/-  Marcelline Delbecq et Ellie Ga, Dialogue, Shelter Press, 2017

8/-  L’image, événement intérieur, les Carnets du Bal, décembre 2017


Entretien avec Samira Ahmadi Ghotbi

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Entretien avec Samira Ahmadi Ghotbi

 

Léa Bosshard : Nous avons choisi de t’inviter à participer à cette recherche depuis la notion de trace telle que la définit Rémy.

« On pourrait définir la notion de trace par l’usage que j’en fais dans l’écriture chorégraphique. Envisager l’écriture chorégraphique à l’aune d’un dépôt de traces, cette notion charrie avec elle les notions de mémoire, de visible, d’invisible, de lisible et de présent. Cette pratique de l’écriture de la trace, puise sa source dans une de mes premières interrogations chorégraphique et vient s’ancrer dans le travail de cartographie de Fernand Deligny. La trace contient à la fois tracé et activité. En somme pour moi, travailler dans un espace est une pratique de composition avec ce qu’il y a, ce qu’il y avait ».

Au moment de l’invitation, nous pensions à tes dessins, où l’espace de la feuille devient l’espace tangible de l’activité du tracé, minutieux, répété, qui lorsqu’on s’en éloigne peut aussi dessiner une cartographie, je pense là au dessin infini et à une série de dessins sans titre que tu as faits en 2015 qui sont dans ton portfolio. Que convoque pour toi, dans ton travail, cette définition de Rémy (qui soulève aussi la question de la mémoire et de son corollaire l’oubli, de la trace et de l’effacement) ?

Samira Ahmadi Ghotbi : Je relie la définition de Rémy sur « ce qu’il y a et ce qu’il y avait » à une phrase d'Alain Schnapp, dans le cycle de cours Une histoire universelle des ruines au Louvre (1). Il dit : « La ruine est un pont entre le passé et le présent, entre la mémoire et l'oubli ».
Pour moi cette définition de ruine évoque la notion de trace. La trace est ce qui reste, entre matériel et immatériel, entre visible et invisible. Elle est l'ombre d'un passé et d'un passage.
Dans mon travail la trace est présente comme une activité ; tracer / dessiner (comme précise Rémy), et aussi comme une manière de rendre visible et lisible la mémoire et à travers laquelle je re-vois l’histoire.
En ce qui concerne le dessin, la trace est la marque du geste qui se pose sur le papier.  Elle se dessine entre le faire et le suspens, entre le vide et le plein. Elle se révèle dans « l'allure de son geste, dans la force de son mouvement, dans la portée et la légèreté de son trait »(2).
Mes dessins sont construits par la répétition et le tissage de lignes. Il y a quelques temps, j’ai écrit un texte à propos de deux lignes parallèles :

Ces deux lignes n'en forment qu'une,
La première avance,
La deuxième la suit,
La première est un passage,
La deuxième est son ombre.

Cette ligne diptyque contient donc deux temps ; un premier temps d'écriture et un deuxième temps de lecture. Une répétition qui constitue à la fois le motif et le geste.

Et ça me renvoie aujourd'hui à l’image de l’homme qui danse avec son ombre ; un rituel très ancien, tel que nous le montre Werner Herzog dans son documentaire La grotte des rêves perdus . Dans la grotte Chauvet en Ardèche, l'homme ancien danse avec son ombre et il la projette sur les figures des lions, des rhinocéros, des ours et des chevaux dessinés ici et là.

« Ces chevaux qui ne partiront jamais sont, comme les danseuses, perpétuellement en “attente”, attente de l'achèvement d’un geste ou d’un spectacle qui n’aura pas lieu ».
Jean Paul Bouillon, Degas et son temps, 1988

Dans ces images on voit la superposition des gestes, des lignes, des traces et des temps, entre ce qui est perpétuel et éphémère et entre ce qui reste et ce qui s’efface.

Je pense aussi au texte de Paul Valéry, Degas Danse Dessin, dans lequel Valéry décrit très bien la proximité entre la ligne et le geste :

L’œil veut errer ; la main arrondir, prendre la tangente. Pour assurer la liberté du dessin, par laquelle pourra s’accomplir la volonté du dessinateur (…) . Pour rendre la main libre au sens de l’œil, il faut lui ôter sa liberté au sens des muscles ; en particulier à tracer dans des directions quelconques, ce qu’elle n’aime point.
Giotto traçait un cercle pur au pinceau, et dans les deux sens.”

Dans l’idée de tracer un cercle, il y a aussi l’idée de retour, retourner au point de départ. Il s’agit d’un déplacement, pour aller en arrière, vers l’arrière. Giotto est libre de prendre deux directions afin de faire le tour, de dessiner son cercle. Son geste « cheminatoire » donne la dimension et la direction de sa ligne.

La ligne diptyque est différente. Le retour se fait par la répétition et la reprise. Le dessin se fait dans les allers-retours et le croisement des lignes.
C'est sur ce trajet que la ligne et le mouvement se confondent, l'un n'existe pas sans l'autre.
Le geste dépend aussi de la nature de l'espace/du lieu. « Les lieux que l’homme habite et où il construit à chaque fois son rapport au monde »(4).

Selon Gilles Deleuze il existe deux types d'espace : l’espace strié et l’espace lisse. « Dans un cas l'homme organise le désert, dans l'autre cas, c'est le désert qui gagne et qui croît » (5). 
Mais rien n'empêche de marcher tout droit dans un désert ou errer dans une architecture, à la manière de Fernand Deligny.

La feuille de papier oscille entre les deux espaces : un espace strié, dimensionnel, avec un haut et un bas, limité par ses bords et ses angles et un espace lisse, directionnel, blanc et infini.
Un espace strié pour Sol LeWitt et un espace lisse pour un trajet nomade.

Dans un cas la ligne prend le plus court chemin, celui de la ligne droite, pour aller d’un point A à un point B. Dans l’autre cas, la ligne erre sur le papier, son chemin se perd puis se trouve pour arriver au point d’arrivée.

Je déploie ma pratique du dessin de différentes façons : du dessin géométrique au non-géométrique, des formes organisées aux formes organiques. Ma pratique est minutieuse et nécessite une longue période de réalisation. La forme apparaît progressivement à travers un geste lent. Le dessin révèle une vision du paysage qui se présente à la fois dans l'immense et le minuscule, dans le tout et le détail.

Tout se passe de l'observation à la pratique, de l'expérience à sa transmission. Cet écart entre les deux étapes me permet d'oublier, de faire confiance à la mémoire, et de me souvenir, pour créer d'autre paysage.

Gilles Clément, dans sa leçon inaugurale au Collège de France explique que « le paysage est ce que nous gardons en mémoire après avoir cessé de regarder ; et ce que nous gardons en mémoire après avoir cessé d'exercer nos sens au sein d'espace investi par le corps » (6).

L’arbre coupé dans la cour de notre maison d’enfance existe toujours par son ombre.

LB : En te lisant je repense à ce projet, intitulé De champ aux iris, que tu as réalisé à la chapelle de Chanounat qui développe un autre rapport au dessin, en dehors de l’espace de la feuille (7). Tu as dessiné au crayon des fleurs sur le mur de la chapelle Batiste qui s’effaçaient au fil du temps, autant par le support du mur en chaux que par le caractère friable du crayon. L’éphémérité des fleurs des champs étaient rejouée sur le mur.

SAG : Oui ce travail s’inscrit dans une réflexion sur les saisons. Chaque jour en venant au centre d’art à pieds je cueillais des fleurs, que je dessinais quotidiennement et de façon répétitive sur le mur à la chaux de la chapelle. Comme le jardin que j’ai filmé depuis la fenêtre de l’appartement de ma mère à Mashhad (8), ce bouquet s’inscrit dans un temps défini, sur une saison. Je ne vois ce jardin de Mashhad que lorsque je retourne en Iran l’été. Le reste du temps, quand je ne suis pas là, c’est une ellipse temporelle. Dans l’exposition à Chanonat il y avait ce même rapport à l’éphémère, ainsi qu’au déplacement. Je dessinais la fleur sur le mur au moment de son épuisement. La chaux elle-même fatiguait la fleur car ça faisait beaucoup de poussière. Et le crayon de couleur s’effaçait petit à petit par la chaux qui tombait. La fleur inscrite au mur était à moitié effacée, comme une ombre.

LB : Et sur quoi travailles-tu en ce moment ?

SAG : J’ai quelques projets en cours qui ne sont pas terminés. Je travaille en ce moment sur une vidéo qui compile une exposition que j’ai vue au Musée d’art contemporain de Téhéran en 2017 sur la collection de Farah Dibâ, la reine d’Iran, qui, avant la révolution de 1979, a acquis un grand nombre d’œuvres d’art occidental, dont un triptyque de Francis Bacon. Cette collection n’a pas beaucoup été montrée depuis la révolution. Elle était cachée dans la cave du musée d’art contemporain de Téhéran. Elle a été montrée en 1999, en 2005 et en 2017. Vingt-deux ans après la révolution islamique, une petite partie des œuvres a été montrée à l’occasion d’une exposition sur l’art minimal, le Pop Art et l’impressionnisme. En 2005, une exposition des œuvres censurées a été organisée pour les professionnels de l’art. L’exposition s’appelait « Le mouvement de l’art moderne ».

Ce qui est étonnant avec ce triptyque de Francis Bacon c’est qu’il devient dans l’exposition que j’ai vu l’an dernier un diptyque, car le panneau central est censuré par la législation islamique. Le titre du panneau est « Deux personnages couchés dans un lit devant des spectateurs », en anglaisTwo Figures Lying on a Bed with Attendants, 1968. La législation islamique interdit toute représentation de la nudité. Dans cette collection il y avait aussi un tableau d’Andy Warhol qui a été détruit. C’était un portrait de Farah Dibâ, la reine d’Iran. Le triptyque, enfin le diptyque, est accroché sur un mur orange. Le panneau, qui n’est pas exposé, est matérialisé seulement par des clous d’accrochage. Lorsque j’ai visité l’exposition, il y avait un cours de philosophie de l’art auquel j’ai demandé d’assister. J’ai enregistré à ce moment-là un exposé d’un des étudiants sur le triptyque ; je suis en train de monter avec les images. Pendant ce cours, le professeur disait que ce tableau qui n’était pas là était très pâle car il n’était pas restauré, contrairement aux autres dont les couleurs étaient éblouissantes. Le tableau, même dans la réserve, s’efface et devient un tableau fantôme.

LB : Ça me fait penser à cette histoire du musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg qui, pendant le siège allemand en 1944, a été complètement vidé de ses collections pour protéger les tableaux et dont on raconte qu’un des conservateurs faisait la visite guidée pour raconter et décrire tous les tableaux qui n’étaient plus là physiquement mais dont il brossait la description de mémoire.

SAG : Dans la même conférence sur « L’histoire universelle des ruines », Alain Schnapp dit : « Toutes les sociétés doivent choisir un équilibre entre la mémoire et l’oubli. Suivant les périodes, les sociétés détruisent, conservent et cherchent à adapter cet équilibre »(9). Cet équilibre dépend donc de la politique de chaque Etat. La première exposition de la collection de la reine a été organisée suite à l’élection de Mohamed Khatami, un président modéré. Après l’élection de Mahmoud Ahmadinéjad, un président conservateur, la direction du musée a été changée et la collection n’a plus été montrée, jusqu’à l’élection du prochain président modéré, Hassan Rohani en 2013.

Par ailleurs, j’ai un autre projet de film où je mets en parallèle deux jardins. Le premier est un jardin ouvrier, que je filme depuis la fenêtre de chez ma mère avec un point de vu aérien. L’autre est un jardin familial, qui appartenait à mon père. En persan, le mot jardin est plus global, contrairement au français où il y a différents termes : le potager, le jardin botanique et d’autres. En persan, le jardin désigne aussi une maison qui est entourée par un grand terrain clôt. Ce jardin, que l’on pourrait traduire par la maison de campagne, a été abandonné après la mort de mon père, pendant 20 ans. Aujourd’hui mon frère le restaure. Les images filmées de ce deuxième jardin sont des plans fixes de l’intérieur de la maison, où l’on voit les papiers peints et le tapis. J’ai filmé le moment du nettoyage du tapis, où on tape le tapis à la verticale et où toute la poussière en sort. C’est un tapis fleuri, pas prestigieux, loin de ce que l’on imagine être un tapis persan. Mais ça reste un jardin d’hiver comme le dit Michel Foucault dans son essai sur les hétérotopies (10). Les motifs de ces papiers peints et ce tapis sont des images avec lesquels j’ai vécue et grandie, même s’il y a une ellipse de vingt ans. Pour moi le motif est le véhicule de la mémoire. Comme élément de l’ornement il emporte avec lui l’histoire, la culture et même la géographie des pays.

Je mène des recherches également sur un autre projet lié à la mémoire et au papier-peint. Ma grand-mère avait une vieille maison, avec un jardin persan. Comme dans la mythologie iranienne liée au jardin persan, le jardin était divisé en quatre parties qui représentaient chacune une saison et une fontaine au centre.
Parce qu’on avait des soucis financiers, ma grand-mère l’a vendu. Nous n’avons pas réussi à la vendre à l’Etat car il disait que ce n’était plus du patrimoine parce qu’on y avait fait des travaux. On l’a donc vendu à des privés qui l’ont détruite et qui y ont construit à la place un hôtel. Six mois plus tard ma grand-mère a perdu la tête. À ce moment là, j’étais en France et quand je l’ai retrouvée à mon retour, elle n’était plus la même. Elle n’avait plus de mémoire. Je prenais soin d’elle quelques jours par semaine et un jour je lui ai parlé du cognassier de son jardin et de ses confitures. Elle m’a dit que cette discussion lui remontait le moral. Elle s’en souvenait. Alors c’est devenu une sorte de rituel, quand je la voyais je lui parlais de son jardin, des arbres et des plantes qui s’y trouvaient. Un jour j’ai enregistré notre discussion, mais à mon retour en France j’ai perdu l’enregistrement. Pour me rappeler et ne pas oublier ces discussions, j’ai fait une liste des arbres qu’elle avait nommé. Puis j’ai eu l’idée de les dessiner. Et aujourd’hui, j’aimerais en faire un papier-peint pour amener le jardin à l’intérieur, dans un espace domestique. Et pour que les motifs deviennent objet de notre mémoire. Les motifs couvrent les surfaces. Ils sont là pour cacher l’aspect lisse et nu des choses. Dans l’architecture, dans notre lieu de vie, ils sont autant présents à l’extérieur qu’à l’intérieur, sur le carrelage, le papier-peint, les rideaux ou les draps. Les motifs deviennent l’image de la mémoire autant par leurs répétitions que par l’habitude de les voir quotidiennement.
Dans un autre projet, L’histoire de l’escargot, que je développe depuis deux ans, j’essaye d’inventer une légende : l’histoire sera racontée et re-racontée. Elle sera inscrite dans la mémoire par la répétition du récit autant que par l’apparition du motif de l’escargot sur différents objets. Le premier objet de cette série sera une assiette en porcelaine où le motif de l’escargot sera imprimé au fond.

LB : Est-ce que tu sais déjà comment et sur quoi tu vas amorcer ta recherche au stade Sadi-Carnot ?

SAG : Je pense que je vais partir de détails, des choses auxquelles on ne fait pas attention. Ce qui m’intéresse dans le livre Parler de Pierre Alféri (11), sur le poète qui n’écrit plus et la danseuse qui ne danse plus, c’est qu’il y a une impossibilité. Je crois que la mémoire dans mon travail surgit aussi de cette impossibilité. Je suis loin de ma famille la plus grande partie de l’année. Les manques sont des déclencheurs dans mon travail, comme c’est le cas d’un texte que j’ai écrit sur l’archéologie et sur l’impossibilité d’une peinture. Je voulais peindre un paysage de mémoire et retrouver la couleur jaune d’un paysage aride que j’avais vu pendant une visite d’un site archéologique en Iran. Mais après quelques tentatives, il m’est apparu impossible de retrouver la couleur. Donc j’ai commencé à écrire sur l’échec de la peinture et finalement c’est le texte qui devient la peinture qui se termine ainsi : « mais il y a trop de lumière pour voir la couleur » (12).
Au stade Sadi-Carnot, je vais regarder les plantes, les traces qu’il y a, comme la spirale au sol que l’on avait observée quand tu m’as fait visiter le stade. C’est également pour ça que je suis curieuse de commencer ma recherche en même temps que Rémy et des danseurs, pour observer les traces de leurs passages et faire en partie à partir d’elles.

 

 

 

1/-  Cycle de cours « Une histoire universelle des ruines », mars 2014, Musée du Louvre, Alain Schnapp, professeur d’archéologie de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne.

2/-  Jean-Luc Nancy, Le plaisir au dessin, Galilée, 2007, Paris.

3/-  La Grotte des rêves perdus (Cave of Forgotten Dreams) est un documentaire franco-allemand de 90 minutes réalisé par Werner Herzog et sorti en 2010.

3/-  Gilles Clément, Jardins, paysage et génie naturel, Paris, Collège de France/Fayard, coll. "Leçons Inaugurales du Collège de France", 2012.

4/-  Gille Deleuze, Félix Guattari, Capitalisme et Schizophrénie, Milles plateaux, édition de minuit, Paris, 1985.

5/-  Gilles Clément, Jardins, paysage et génie naturel, Paris, Collège de France/Fayard, coll. "Leçons Inaugurales du Collège de France", 2012, p. 20

6/-  Exposition collective « Tropsime(s) », commissariat : Vincent Blesbois, juin 2016, Chanonat.

7/-  Film réalisé par Samira Ahmadi Ghotbi en 2015, intitulé Jardin.

8/-  Alain Schnapp, op. cit.

9/-  Michel Foucault, Dits et écrits 1984 , Des espaces autres (conférence au Cercle d'études architecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984, pp. 46-49

10/-  Pierre Alféri, Parler, P.O.L, Paris, 2017

11/-  Le jardin des boutons d’or, 2016

 

Entretien avec Sébastien Roux

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Entretien avec le compositeur Sébastien Roux

 

Léa Bosshard : “Le landmark est la forme (ponctuelle et récurrente) constituée par les notions aux allures contradictoires que sont le calque et le palimpseste. Le calque laisse voir les choses en transparence alors que le palimpseste travaille le recouvrement, le rendu opaque. Tout en permettant d’envisager la cohabitation de ces contradictions, la danse donne corps à un tiers (pas nécessairement visible) dont le landmark est le leurre. Le landmark est donc une forme tangible, une figure, répétée qui permet l’apparition d’un passé (espace + temps) localisé sur un calque antérieur. Calque après calque, la figure du landmark nous permet de percer littéralement l’épaisseur du temps et de l’espace dans des allers-retours
au présent.

Le landmark se distingue de la trace en ceci qu’il est du registre du ponctuel tandis que la trace est associée à celui du flux.”

Voici la définition du landmark donné par Rémy depuis son travail. Nous avons pensé t’inviter depuis cette notion pour plusieurs raisons : d’abord parce que nous avions en tête l’anamorphose que tu as réalisée dans le potager du roi à Versailles, où une figure sonore apparaissait à un endroit précis de l’espace. Ensuite parce que nous voulions poursuivre la collaboration amorcée avec Here, then (1). Qu’est ce que la notion de landmark convoque pour toi au niveau de ton travail?

Sébastien Roux : Il y a quelque chose du temps et de l’espace qui sont mêlés dans la définition du landmark. Un événement peut se produire au même endroit mais pas au même moment ou à l’inverse, deux événements simultanés peuvent se produire dans des endroits distincts. Je m’intéresse à l’idée d’une musique où le temps et l’espace sont liés par le même algorithme ou le même processus de composition. Ça m’est venu avec les dessins muraux de Sol LeWitt et en en parlant avec Béatrice Gross (2). Il y a toute une série de pièces de Sol LeWitt sur lesquelles j’ai travaillé, qui sont faites de jeux de combinaisons par paires de motifs simples (3). Une ligne qui monte, une ligne qui descend, une ligne horizontale, etc. S’il y a quatre motifs simples, cela donne six paires. Cette collection de pièces est jouée en public sous la forme de séances d'écoute. Les pièces sont spatialisées sur un réseau de haut-parleurs formant une ligne, face aux auditeurs. Chaque fois qu’un son est joué, donc combiné avec un nouveau son, il se déplace dans l’espace. Comme si l’espace était la timeline. L’espace devient la feuille sur laquelle s'écrit la partition. Au cours de la pièce, les sons voyagent d'une extrémité à l'autre de la ligne de haut-parleurs. Temps et espace sont liés. J’ai toujours été frappé par la frustration traduite sous la forme du théorème d’Heisenberg (4) qui énonce que toute amélioration de la précision de mesure de la position d’une particule se traduit par une moindre précision de mesure de sa vitesse et vice-versa. Dans le cas de ma pièce Inevitable Music, ce n'est pas de la mécanique quantique, on peut donc contrôler la position et la vitesse des sons ! J’ai composé pour la Fondation Cartier (5) une autre pièce à partir de tous les adagios de Beethoven qui se rapproche peut-être encore plus de votre définition du landmark. Les haut-parleurs étaient disposés cette fois sur une ligne courbe. L’une des extrémités correspondait avec la date du premier adagio et l’autre extrémité avec le dernier. Les haut-parleurs étaient comme des balises indiquant une chronologie des adagios composés au cours de sa vie. Des cartels mentionnaient les dates, l’effectif (quatuor, ensemble, orchestre, etc) et les noms des adagios.

LB : Chaque spectateur s’installait devant un haut-parleur ou se mettait en mouvement ?

SR : Les deux. Il était possible de choisir entre une écoute globale, enveloppante, ou au contraire de faire un zoom sur une date précise. Tu pouvais remonter ou avancer dans le temps, faire des sauts, etc.

LB : Tu parles maintenant de « son enveloppant » et ça m’évoque les réflexions préliminaires de notre projet avec Rémy auquel nous te convions, L’usage du terrain. Nous voulions inviter les artistes depuis des conceptions ou strates de l’espace. Nous avions essayé de créer une typologie simple : espace vertical, espace horizontal, le sol, le ciel, etc. Et de manière assez naturelle, nous avions de suite pensé à t’inviter depuis « l’espace volume ». Pourtant, en écoutant les différents entretiens radiophoniques auxquels tu as participé, je me suis dit que ce n’était pas si évident, qu’il pouvait y avoir sûrement d’autres conceptions de l’espace depuis lesquels t’inviter. C’est assez évident de penser que le son est enveloppant, qu’il est un volume. Mais finalement est-ce qu’il pourrait y avoir une musique du sol ? En entendant que tu avais fait des études sur l’analyse du signal sous-marin, je me suis interrogée sur l’existence d’une musique souterraine.
Cela rebattait les cartes en tout cas.

SR : Fabriquer une géométrie avec le son n’est pas une évidence.

LB : Oui, effectivement, je ne voulais pas dire qu’il était évident de penser le son de façon géométrique, je pointais davantage son caractère enveloppant. 

SR : Fabriquer plastiquement un espace géométrique est plus facile que de le produire avec du son qui a tendance à nous glisser entre les mains. La nature du son joue énormément dans son caractère géométrique. Il y a des sons qui vont fabriquer des volumes, qui vont baigner un espace. D’autres qui vont au contraire le ciseler, fabriquer des landmarks, avec des effets de position. Cela dépend vraiment de la qualité des sons.

Quant à une musique de la terre, je ne sais pas !

LB : J’ai souvenir que tu parles dans l’un des entretiens radiophoniques, du traitement du signal sous-marin comme celui des bancs de poisson. Est-ce qu’une analogie serait possible avec le sous-terrain ?

SR : C’est l’idée du fluide. Dans l’espace intergalactique par exemple on n'entend rien parce que c’est vide. Les bruits des vaisseaux dans La guerre des étoiles ne pourraient pas exister dans la réalité. Il n’y a pas d’air, pas de fluide, donc pas de son. La terre, comme tout solide, absorbe ou réfléchit le son qui transite par un fluide (eau, air...). Dans l’eau les propagations sont différentes que dans l'air. L'absorption est moins grande, les sons se propagent plus loin, c’est plus cacophonique. Cela reste pour moi un moment intéressant de ma formation scientifique.

LB : Était-ce déjà lié au son ?

SR : D'une certaine manière oui. Il s’agissait de cours théoriques en 3ème année d'école d'ingénieur en Electronique et Traitement de l'Information sur la manière de traiter tout type de signal : ondes radiophoniques, téléphonie, etc. Quel protocole utiliser pour que la transmission soit la meilleure possible ? Le traitement du signal s’appuie beaucoup sur la probabilité. C’était comme une boîte à outils dans laquelle piocher pour l’appliquer à n’importe quel signal. Je suivais aussi un cours sur l’acoustique sous-marine. L’étude de la propagation du son sous l’eau n’a pas les mêmes propriétés que l’acoustique terrestre.

En école d’ingénieur c’était plutôt théorique, avec seulement quelques cours pratiques.

LB : Pour toi c’est donc cohérent de considérer l’espace comme un
volume ?

SR : Oui, plutôt. En même temps, les pièces basées sur les dessins muraux de Sol LeWitt ont un rapport  bidimensionnel au sonore.

LB : Tu parlais néanmoins des différentes qualités de son qui peuvent être comme des points, des lignes, des volumes. 

SR : Absolument, par exemple je choisis les dispositifs en fonction du projet. Les pièces d'après Sol LeWitt sont assez formelles. L’idée principale est de mettre l’auditeur dans une situation d’écoute pensante. Il va réfléchir à la structure de la pièce. Une voix pré-enregistrée donne la partition de la pièce suivante. Il peut s’imaginer des choses et les comparer ensuite avec ce qu’il entend et essayer de prédire la suite de la pièce. On n’est pas dans une écoute phénoménologique, mais plutôt structurelle. 

Si je développais un dispositif enveloppant, ça emmènerait l’écoute ailleurs. Là, avec la ligne, on est moins tenté d’écouter l'espace sonore produit que la composition elle-même. 

LB : Dans Inevitable music, où se trouve le spectateur ? Il se déplace d’enceinte en enceinte ?

SR : Non, c’est une séance d’écoute qui reprend un dispositif de concert. Les places sont fixes. En fonction d’où tu te trouves, tu vas entendre une évolution spatiale des sons différente. 

LB : Alors qu’on évoque Inevitable music qui est donc une traduction des dessins muraux de Sol LeWitt en partitions musicales (6), je pense à d’autres de tes œuvres liées à la traduction d’œuvre d’un autre médium vers la composition musicale, comme la légende de St Julien l’hospitalier de Flaubert. As-tu déjà imaginé traduire également un espace ? 

SR : Non, on me l’a déjà demandé, mais je ne l’ai pas fait.

Il y a une pièce de Sol LeWitt qui dit : « relier les points architecturaux entre eux au stylo feutre ». Par exemple, une prise électrique est reliée à un angle du mur, etc. J’ai étendu la consigne en gardant l'idée de connexion. J’ai suivi la ligne du métro A de Rome et  enregistré le paysage sonore tous les 200 mètres environ en gardant toujours le même réglage d'enregistrement. J’ai réalisé un montage qui met bout à bout ces petites séquences. On traverse la ville en se confrontant à ses contrastes sonores. Quand tu es dans une église tu entends un quasi silence, une rumeur, alors qu’au bord d'une grande artère, c'est évidemment très bruyant.

LB : Il y a aussi un autre rapport à l’espace : celui du field recording

Et puisque je remarque que tu parles de son plus que de musique, peux-tu préciser l’usage que tu fais de ce terme ?

SR : L’usage du son c’est mon outil, comme Rémy son corps et le mouvement.

LB : À un moment dans l’émission L’expérimentale sur France musique (7) , tu dis quelque chose comme : « ça c’était une pièce sonore et là ce sera une pièce musicale ». Donc je m’interrogeais sur cette distinction.

SR : C’est un peu grossier, mais disons que la musique ce serait : organiser les sons. Les pièces sonores, quant à elles, traitent d’un son ou d’une qualité sonore, d'une spécificité du son. Les pièces basées sur les dessins muraux de Sol LeWitt, ce sont des sons mis les uns avec les autres, donc une musique, formelle. Et en même temps, j’en parlais avec le directeur du ZKM (8) qui me disait « vu que tu as donné les règles de composition, on a plus à se soucier du scénario, on est libéré du discours. On peut alors se plonger dans une pure écoute du son. » 

Mon projet sur l’anamorphose sonore traite lui plutôt d’une situation sonore. Dans le potager du roi à Versailles pour le Festival Plastique Danse Flore ou dans le donjon de Vez pour le festival des Fabriques, j'ai essayé d'imaginer une pièce la moins musicale possible, pour que l’attention ne soit pas focalisée sur la composition, mais sur l'effet produit par l'anamorphose. Des sons sont présents dans tout l’espace, en opposition à des sons circonscrits à un tout petit territoire. À l'endroit où leur combinaison est perceptible, ils produisent ce qu’on pourrait appeler une épiphanie : en ce point de l’espace les sons s'organisent entre eux et l'intention sonore est révélée. 

Dans la sélection que tu as entendu sur France musique dans L’Expérimentale, il y a cette pièce de Jean-Luc Guionnet (9) sur la perspective, Distance Ouies Dites : des musiciens sont placés dans différentes pièces et jouent plus ou moins fort. Plus ils sont loin du public, plus ils jouent fort, et par conséquent, plus ils « excitent » l’espace. Plus ils sont près des auditeurs, plus ils jouent délicatement. C’est assez étonnant, c’est une étude sur la diffusion du son à travers l’espace. C’est une pièce sonore, proche d’une étude scientifique et en même temps cela produit une musique passionnante.

LB : D’autant qu’à la radio l’espace est écrasé, donc on n’entend que la musique !

Dans cette émission, c’est très agréable et intéressant de t’entendre donner des clefs d’écoute et de lecture. Une analyse et une ligne se dessinent au fil de l’émission et des morceaux choisis sur la forme du canon. Ce serait un pendant de l’écoute, celui analytique. Une autre possibilité d’écoute serait « le cinéma pour l’oreille » dont tu parles dans l’entretien avec Thomas Baumgartner (10). C’est la beauté de la radio et ça fait peut-être un lien avec le travail de Marcelline Delbecq (qui participera également au projet L’usage du terrain) concernant l’image convoquée par le texte. Ce « cinéma pour l’oreille » fait allusion à des dispositifs radiophoniques, de chambre noire ou pour les musées. Je me demande ce qui se joue quand on est, pour le coup, dans un site, où le « cinéma pour l’oreille » se dote d’un décor. Que produit pour toi cette juxtaposition ou cette superposition d’une musique et d’un site ?

SR : J’ai longtemps associé le cinéma pour l’oreille, l’art radiophonique, à une écoute plutôt domestique dans le noir, la nuit, allongé, avec des enceintes de chaque côté du canapé ou du lit : une écoute seul en dehors de tout contexte visuel. Avec Célia Houdart (11) nous avons conçu des œuvres qui reprennent ce format de l’art radiophonique, un mélange de textes, de musiques et d’ambiances sonores (vent, ville, etc), que l’on a contextualisés dans des parcours ou des installations sonores. On s’est confronté à ce « cinéma pour l’oreille » en y ajoutant une projection dans le paysage. Par exemple, pour le festival d’Avignon, nous avons relié Avignon à la Chartreuse (12) à travers un parcours sonore. Le paysage se faisait le terrain d’action de ce que l’on entendait, un peu comme les images d'un film muet. On invitait le spectateur à regarder par la fenêtre et l’action se passait de l’autre côté de cette fenêtre, ou bien les personnages parlaient d’éléments du paysage que l’on avait traversé auparavant. Dans ces parcours sonores on construisait un rapport au paysage à travers la fiction.

LB : As-tu réalisé d’autres projets dans le paysage peut-être plus abstraits, comme les anamorphoses ? Comment l’espace se travaille-t-il dans ces pièces ? Est-il abstrait à son tour ?

SR : Oui, dans ces pièces avec Célia Houdart ce cinéma pour l’oreille induit des notions de fiction, de scénario, d’images que l’on construit avec nos oreilles. Dans mes projets solo, je m'intéresse au rapport direct entre le son et son espace de propagation. Dans Interlude au loin, que j’ai créé dans le jardin de Barbirey sur Ouche en 2013, il y avait des interludes diffusés entre les spectacles, venant colorer le paysage. C’était un geste de paysagiste, de scénographe, plutôt que de metteur en scène.

LB : Comment travailles-tu pour monter ces pièces ? Utilises-tu Max/MSP (13) ? Ou d’autres outils ?

SR : Cela dépend des projets. J’essaye de toujours avoir une partition ou une contrainte préliminaire à laquelle je vais me tenir le plus longtemps possible, en vue de produire quelque chose.

LB : Quand tu dis quelque chose, c’est une partition ?

SR : Non c’est plutôt le résultat sonore. Par exemple, c’est en me promenant à Rome et en voyant des anamorphoses que m’est venue cette idée : que serait une anamorphose avec des sons ? Cela peut être réalisé avec Max/MSP, ou avec des enregistrements de son et un montage
« classique » ou avec des musiciens. Je n’ai pas un outil unique. En revanche, j’ai un outil privilégié qui est l’ordinateur et la synthèse des sons. Il y a certains musiciens ou compositeurs dont tu reconnais tout de suite le son en écoutant quelques secondes de leur travail. Je ne crois pas que ce soit mon cas. On peut reconnaître des idées plus que ma facture sonore. 

LB : Quelles sont tes recherches en ce moment ?

SR : Je travaille justement sur une anamorphose pour le FRAC de Besançon (14). Un concert  est prévu en décembre (2017) dans le cadre d’une rencontre avec l’université de Franche-Comté dont la thématique est
« l’espace sonore ». Je viens juste de commencer, mais cela part de la même idée qu’à Versailles. Pierre Schaeffer (15), théoricien de la musique concrète, explique qu’en général on décrit un instrument par son timbre, mais que ce n’est pas suffisant. Il faut aussi prendre en compte l’apparition et la disparition d’un son, la dynamique. Par exemple si on enlève l’attaque percussive d'un son de piano et qu'on la remplace par une attaque douce, comme celle d’un archet sur une corde, notre cerveau ne reconnaît plus le son du piano. J'utilise un outil dans Max/Msp qui permet d’enlever et de modifier les attaques d'un son. C’est de cette façon que j’avais construit mon anamorphose à Versailles et à Vez. Un type d'anamorphose que je nomme « Transitoire / Résonance ». À Besançon, je veux produire la même chose avec deux musiciens en live et des sons enregistrés. La musique sera diffusée dans l’espace du FRAC et les spectateurs seront invités à se déplacer dans l'espace  jusqu’à se retrouver face aux musiciens.
Ils comprendront alors rétrospectivement que ce qu’ils entendaient jusque-là était la musique jouée par les instrumentistes.

LB : Peux-tu préciser où est l’anamorphose ? Pour moi l’anamorphose est liée à une distorsion de la forme, comme une loupe qui soit visible dans le tableau et qui déjoue la perspective pour faire apparaître une figure, comme ce crâne dans le tableau des Ambassadeurs de Hans Holbein (1533).

SR : L'anamorphose, c'est l'espace sonore produit dans tout le volume
du Frac. 

Il s’agit d’explorer le champ sonore jusqu’à retrouver l’endroit, le point d’écoute où les sons entendus prennent leur configuration véritable,
où leur nature se révèle. 

L’idée c’est aussi que lorsqu’on se retrouve face aux musiciens, on ait l’impression que ce soit acoustique, que le son diffusé dans l’espace soit comme une résonance. 

Au GRM en juin, je vais faire une pièce de pure musique électronique, un canon de Vuza. C’est un canon rythmique. Quand on fait un canon, toutes les voix chantent la même mélodie avec des entrées décalées dans le temps. Dans un canon de Vuza, c’est le rythme qui est le même pour chaque voix. La spécificité de ce type de canon c'est qu’aucune des voix ne se superposent et qu'une fois toutes les voix entrées, tous les temps sont occupés. Dan Tudor Vuza est un mathématicien qui a trouvé le modèle mathématique pour répondre à cette question : comment faire un canon rythmique où aucune voix ne se superposent et où tous les temps sont occupés ?

LB : Il n’y a donc pas beaucoup de rythme possible?

SR : Si, mais c’est vite d’un niveau de complexité élevée. Il faut au moins six voix distinctes pour construire un canon de Vuza. 

LB : Sais-tu déjà vers quoi tu as envie d’aller comme recherche au stade Sadi-Carnot ?

SR : Il y a une autre anamorphose qui m’intéresse, c’est l’anamorphose rythmique. Chaque son met du temps à se propager dans l’espace. Pour parcourir 300m, il met un peu moins d’une seconde. Imaginons que tu aies deux haut-parleurs synchronisés, l’un diffuse un son de trompette, l’autre un son de clarinette : un son court est diffusé toutes les 10 secondes. Si tu es entre les deux enceintes, à 150m de chaque enceinte, le son te parvient au même moment, tu entends donc le son « iso-rythmiquement ». Mais si tu te rapproches à 10cm de celui qui émet la clarinette, le son de la trompette va arriver 1 seconde plus tard. Il va y avoir un décalage. Je suis curieux de fabriquer une pièce où depuis un certain point d'écoute, des sons émis par différents haut-parleurs vont donner l'impression d'un arpège (les sons se succèdent) et depuis une autre position, ils se rassemblent pour former un accord. C’est un peu comme les anamorphoses de Varini (16). Mais je pense que cette traduction sonore est assez compliquée. Cela demande un espace assez vaste car le son circule vite et il faut de la distance pour percevoir des décalages temporels. Dans un espace extérieur, on s'affranchit des problèmes de réflexions, en revanche, le son disparaît plus vite, il est rapidement absorbé par le milieu. Il y a donc des compromis à faire. 

Sinon je pensais à effacer les bruits des trains, imaginer un son négatif aux trains qui apparaîtrait et disparaîtrait au moment où les trains arrivent et partent. Ca pourrait être un son très puissant qui recouvre le bruit des trains quand on entre dans le stade, ou un son qui seulement à un endroit du stade masquerait ce bruit sur 10m par exemple. 

Il y a une autre anamorphose à laquelle je pensais qui est encore liée à l’idée de se rapprocher ou de s’éloigner d’une source sonore. C’est comme si chaque haut-parleur diffusait une couleur et qu’il fallait pour percevoir la totalité de l’arc-en-ciel trouver une position d’écoute qui soit le bon compromis de mixage entre les différents haut-parleurs. Chaque haut-parleur ou interprète est sur une couleur tenue. Chaque musicien joue à un niveau sonore différent. Si tu es très proche d’un des musiciens qui joue plus fort, ça va masquer les autres sons. En revanche, si tu trouves le bon compromis, tu vas entendre tous les sons superposés aux autres.

LB : Que ce soit fondu ou un arc-en-ciel ? Que ça devienne marron ou que l’on voit toutes les couleurs ?

SR : Cela dépend du registre, s’il est éclaté, par exemple une flûte piccolo qui joue un extrême aigu et une contrebasse une extrême basse, alors ça va être un arc-en-ciel car on va encore entendre les spécificités de chaque son. Si au contraire tout le monde joue dans un même registre de fréquences, on entendra un agglomérat, un seul son et non pas une superposition de sons.

J’avais aussi pensé - mais c’est peut-être trop proche du travail d’Alvin Lucier (17) où il diffuse une onde sinusoïdale pure - si un musicien joue quasiment la même note à quelques hertz près, alors la note continue va se transformer. On va entendre un rythme qui correspond à la différence entre l’onde sinusoïdale et le musicien. Par exemple, les musiciens s’accordent habituellement sur une onde à 440 hertz, donc si on joue à 440 hertz qui est le la et que le musicien joue à 441 hertz, il y a 1 hertz de différence.
1 hertz correspond à 1 seconde, ça va se mettre à vibrer à 1 seconde. Ça pourrait être une idée d’anamorphose : quand on s’approche d’un musicien les fréquences se mettent à vibrer.

 

 

 

1/- Here, then est une pièce chorégraphique pour quatre danseurs (Nuno Bizarro, Madeleine Fournier, Rémy Héritier et Sandra Iché) dont le dispositif scénique reprend celui de la camera obscura. Elle a été créée par Marcelline Delbecq et Rémy Héritier en novembre 2015 au Vivat, à Armentières dans le cadre du festival Next. La lumière est conçue par Ludovic Rivière et la musique par Sébastien Roux.

2/-  Béatrice Gross est critique et curatrice, spécialiste de l’œuvre de Sol LeWitt. Elle a notamment été commissaire de l’exposition Sol LeWitt au Centre Pompidou Metz et au M – Museum de Louvain en 2012 et en a dirigé le catalogue.

3/- Il s’agit d’une série de pièces liées à la traduction de dessins muraux de Sol LeWitt en pièces sonores, intitulée Inevitable music et initiée en 2011. Plus d’info sur www.sebastienroux.net.

4/- Connu aussi sous le nom de « principe d’incertitude », il a été théorisé par le physicien allemand Werner Heisenberg en 1927, qui est également l’un des fondateurs de la mécanique quantique. Il énonce que toute amélioration de la précision de mesure de la position d’une particule se traduit par une moindre précision de mesure de sa vitesse et vice-versa.

5/- The adagio piece, 2012.

6/- Sébastien Roux a traduit les dessins n°260 299 797 43 51 47 85 et 422 de Sol LeWitt.

7/- https://www.francemusique.fr/emissions/l-experimentale/compositeur-invit...

8/- Zentrum für Kunst und Medien à Karlsruhe.

9/- Jean-Luc Guionnet, né en 1966, est un compositeur de musique électroacoustique français. Il est saxophoniste alto et organiste de musique improvisée et free jazz, ainsi que plasticien et performer.

10/- https://www.franceculture.fr/emissions/latelier-du-son/sebastien-roux-eu...

11/- Célia Houdart est metteuse en scène et écrivain.

12/- Car j’étais avec eux tout le temps, Célia Houdart et Sébastien Roux, 2010.

13/- Nommé initialement Patcher, Max/MSP a été inventé et développé par Miller Puckette au milieu des années 1980 à l’Ircam. C’est un logiciel musical permettant de faire de la synthèse sonore, de l'analyse, de l'enregistrement, ainsi que du contrôle d'instrument. 

14/- Anamorphose de Sébastien Roux constituée de deux interprètes de l’ensemble Dedalus associés à un réseau de haut-parleurs. Didier Aschour (guitare), Eric Chalan (contrebasse), Emile Martin (diffusion), Kaija Matiss (voix enregistrée)

15/- https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Schaeffer

16/- Felice Varini est est un artiste suisse contemporain. Son travail prend souvent des formes spectaculaires : il utilise comme support, les lieux et les architectures des espaces sur lesquels il intervient en utilisant la technique de l’anamorphose qui permet de recomposer une forme à partir d'un point de vue unique. 

17/- https://fr.wikipedia.org/wiki/Alvin_Lucier

Portraits Choisis

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  • 7. Mars 2018 - 20:00» 23:00
  • 8. Mars 2018 - 20:00» 23:00
  • 9. Mars 2018 - 20:00» 23:00
du mercredi 7 au vendredi 9 mars 2018, à 20h

 

 

« Je n’ai jamais eu d'idées chorégraphiques mais je réfléchis en répétant. La danse est une pratique située qui permet de combiner plusieurs corps. Elle suppose des activités routinières qui amènent à se familiariser avec des matériaux, articule différentes façons de se mouvoir dans le monde et permet d’inventer des déviations, des raccourcis ou des détours. Dans des sociétés en mutation — mondialisation, immigration, néolibéralisme, changement climatique — où tout est devenu exploitable — force de travail, apparence, origines, sexe — la danse est également en transformation. Prise dans le mouvement de mes propres déplacements, j’ai voulu réfléchir plus largement à ces phénomènes en faisant le portrait d’une ville, Aubervilliers, à travers les pratiques de ses habitant·e·s. 

Nous avons mené une enquête de huit mois sur le territoire de la commune, collecté trois cents pratiques — professionnelles ou amateurs, exceptionnelles ou quotidiennes — qui ont été éditées sous la forme de portraits. Ils sont rassemblés dans un livre, Portraits d'Aubervilliers— un objet que l’on peut lire, emprunter, oublier, acheter, offrir, perdre et retrouver. A travers ces pages, on navigue dans un paysage de gestes et d’habitudes — invisibles, sociales ou intimes — qui constituent une ville. Dans la pièce Portraits Choisis, je m’engage dans un rapport intime à ces corps que j’ai côtoyés. J'incorpore leurs gestes, éprouve les désirs et le vide qui les anime, lie les pratiques entre elles. J’explore les lieux où l’individu se construit, où il organise son émancipation et sa propre exploitation. Enfin, dans le film Portrait|7 : Maryse Emel, j’expose une journée de travail en studio avec Maryse, philosophe et habitante de la ville ».

Lenio Kaklea

 

 

Mercredi 7 mars 2018, à 20h
Jeudi 8 mars 2018, à 20h
Vendredi 9 mars 2018, à 20h

Accès possible dès 15h pour visiter l'installation

ENTREE LIBRE SUR RESERVATION à
reservation@leslaboratoires.org ou au 01 53 56 15 90

 

 

Lenio Kaklea, Encyclopédie pratique, Portraits Choisis, 2017
Chorégraphie en cours d’écriture aux Laboratoires d’Aubervilliers, vue des répétitions  __  © Lenio Kaklea - 2017

 

 

Standard

Portraits Choisis

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  • 7. Mars 2018 - 20:00» 23:00
  • 8. Mars 2018 - 20:00» 23:00
  • 9. Mars 2018 - 20:00» 23:00
du mercredi 7 au vendredi 9 mars 2018, à 20h

 

 

«I’ve never had choreographic ideas but I think while I rehearse. Dance is a situated practice that permits the combining of multiple bodies. It supposes routine activities that lead to familiarisation with materials. It articulates different manners of moving in the world, of inventing deviations, shortcuts, or detours. In societies marked by mutation—globalisation, immigration, neoliberalism, climate change—where all has become exploitable—work force, appearance, origins, sex—dance is likewise undergoing transformation. Taken in the movement of my own shifting orientations, I wanted to reflect more broadly on these phenomena by rendering the portrait of a city, Aubervilliers, through the practices of its inhabitants.

We conducted an eight-month survey throughout the municipality, collecting three hundred practices—professional or amateur, exceptional or quotidian—that have been edited into portraits. They are assembled in a book, Encyclopédie pratique, Portraits d’Aubervilliers —an object that can be read, leant, forgotten, bought, given, lost, found again. Through these pages one navigates a landscape of gestures and habits—invisible, social, or intimate—that constitute a city. In the solo performance Portraits Choisis, I adopt an intimate rapport with the bodies that I encountered. I embody their gestures, I contemplate the desires and the emptiness that animates them, that links the practices between them. I explore the space where the individual is constructed, where one’s own emancipation and self-exploitation occur. Finally, in the video Portrait|7 : Maryse Emel, I expose a day of studio work with Maryse Emel, philosopher and inhabitant of the city».

Lenio Kaklea

 

 

Wednesday 7th March 2018, at 8p.m.
Thursday 8th March 2018, at 8 p.m.
Friday 9th March 2018, at 8 p.m.

Opening of the space for visiting the installation
from 3 p.m. from Wednesday to Friday.

ADMISSION FREE, ON BOOKING REQUESTED at
reservation@leslaboratoires.org or 01 53 56 15 90

 

 

Lenio Kaklea, Encyclopédie pratique, Portraits Choisis, 2017
Chorégraphie en cours d’écriture aux Laboratoires d’Aubervilliers, vue des répétitions  __  © Lenio Kaklea - 2017

 

 

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Portraits Choisis

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10. Mars 2018 - 18:00» 21:00
Samedi 10 mars 2018, à 18h

 

 

«I’ve never had choreographic ideas but I think while I rehearse. Dance is a situated practice that permits the combining of multiple bodies. It supposes routine activities that lead to familiarisation with materials. It articulates different manners of moving in the world, of inventing deviations, shortcuts, or detours. In societies marked by mutation—globalisation, immigration, neoliberalism, climate change—where all has become exploitable—work force, appearance, origins, sex—dance is likewise undergoing transformation. Taken in the movement of my own shifting orientations, I wanted to reflect more broadly on these phenomena by rendering the portrait of a city, Aubervilliers, through the practices of its inhabitants.

We conducted an eight-month survey throughout the municipality, collecting three hundred practices—professional or amateur, exceptional or quotidian—that have been edited into portraits. They are assembled in a book, Encyclopédie pratique, Portraits d’Aubervilliers—an object that can be read, leant, forgotten, bought, given, lost, found again. Through these pages one navigates a landscape of gestures and habits—invisible, social, or intimate—that constitute a city. In the solo performance Portraits Choisis, I adopt an intimate rapport with the bodies that I encountered. I embody their gestures, I contemplate the desires and the emptiness that animates them, that links the practices between them. I explore the space where the individual is constructed, where one’s own emancipation and self-exploitation occur. Finally, in the video Portrait|7 : Maryse Emel, I expose a day of studio work with Maryse Emel, philosopher and inhabitant of the city».

Lenio Kaklea

 

 

Saturday 10th March 2018, at 6 p.m.
Opening of the space for visiting the installation from 4 p.m.

FREE ENTRANCE ON RESERVATION REQUESTED at
reservation@leslaboratoires.org or 01 53 56 15 90

 

 

Lenio Kaklea, Encyclopédie pratique, Portraits Choisis, 2017
Chorégraphie en cours d’écriture aux Laboratoires d’Aubervilliers, vue des répétitions  __  © Lenio Kaklea - 2017

 

 

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Portraits Choisis

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10. Mars 2018 - 18:00» 21:00
Samedi 10 mars 2018, à 18h

 

 

« Je n’ai jamais eu d'idées chorégraphiques mais je réfléchis en répétant. La danse est une pratique située qui permet de combiner plusieurs corps. Elle suppose des activités routinières qui amènent à se familiariser avec des matériaux, articule différentes façons de se mouvoir dans le monde et permet d’inventer des déviations, des raccourcis ou des détours. Dans des sociétés en mutation — mondialisation, immigration, néolibéralisme, changement climatique — où tout est devenu exploitable — force de travail, apparence, origines, sexe — la danse est également en transformation. Prise dans le mouvement de mes propres déplacements, j’ai voulu réfléchir plus largement à ces phénomènes en faisant le portrait d’une ville, Aubervilliers, à travers les pratiques de ses habitant·e·s. 

Nous avons mené une enquête de huit mois sur le territoire de la commune, collecté trois cents pratiques — professionnelles ou amateurs, exceptionnelles ou quotidiennes — qui ont été éditées sous la forme de portraits. Ils sont rassemblés dans un livre, Portraits d'Aubervilliers— un objet que l’on peut lire, emprunter, oublier, acheter, offrir, perdre et retrouver. A travers ces pages, on navigue dans un paysage de gestes et d’habitudes — invisibles, sociales ou intimes — qui constituent une ville. Dans la pièce Portraits Choisis, je m’engage dans un rapport intime à ces corps que j’ai côtoyés. J'incorpore leurs gestes, éprouve les désirs et le vide qui les anime, lie les pratiques entre elles. J’explore les lieux où l’individu se construit, où il organise son émancipation et sa propre exploitation. Enfin, dans le film Portrait|7 : Maryse Emel, j’expose une journée de travail en studio avec Maryse, philosophe et habitante de la ville ».

Lenio Kaklea

 

 

Samedi 10 mars 2018, à 18h
Accès possible dès 16h pour visiter l'installation

ENTREE LIBRE SUR RESERVATION à
reservation@leslaboratoires.org ou au 01 53 56 15 90

 

 

Lenio Kaklea, Encyclopédie pratique, Portraits Choisis, 2017
Chorégraphie en cours d’écriture aux Laboratoires d’Aubervilliers, vue des répétitions  __  © Lenio Kaklea - 2017

 

 

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Presentation

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Encyclopédie Pratique, collecte d’Aubervilliers

 
"Everyone has practices — be they intimate or collective, spiritual or physical, original or dull; invented practices, learned practices; pleasant, fastidious practices, social practices, invisible practices. Gradually, habits establish themselves as rituals — doing the washing up, sewing, praying, going shopping, boxing, shaving, redering, taking public transportation, posting videos, photographing cans on the street, listening to reggae, wandering around in construction sites...
My own practice entails collecting practices. With the Encyclopédie Pratique de la Ville d’Aubervilliers, I hope to create an extensive corpus of practices of the town inhabitants and regular visitors of Les Laboratoires d’Aubervilliers that will be published in book and serve as material for a choreographic piece".

Lenio Kaklea

 

 

picture_all rights reserved

For her residency at Les Laboratoires d’Aubervilliers beginning January 2017, Lenio Kaklea has proposed a project anchored in Les Laboratoires site itself and in the specific context of the town of Aubervilliers near Paris. She has been concerned with interrogating the social body by working on an Encyclopédie PratiqueA Practical Encyclopedia— and more specifically by collecting a set of physical practices connected to Aubervilliers, to its residents, and to regular visitors of Les Laboratoires d’Aubervilliers.

A Practical Encyclopedia is a site-specific project in progress the artist/choreographer has been working on since 2016. The project has a real anthropological dimension and draws more specifically on Marcel Mauss’s famous text Techniques of the Body, published in the original French in 1934. In the text, the French anthropologist suggests that utilitarian gestures are as diverse and multiple as languages:

        “I call technique an action which is effective and traditional (and you
         will see that in this it is no different from a magical, religious or
         symbolic action). It has to be effective and traditional. There is no
         technique and no transmission in the absence of tradition. This
         above all is what distinguishes man from the animals: the
         transmission of his techniques and very probably their oral
         transmission.”

         __ Marcel Mauss, Techniques of the Body, 1973 (1934) - [1].


Through her project, Lenio Kaklea hopes to begin an inquiry to better grasp and reveal the great diversity of movements in human culture, among other things through a catalogue of our bodily practices in human culture. She also hopes this research will be an opportunity to bring into relief the contemporary relationship to food, decoration, technology, love, sex, nature, spirituality, the economy, work, death, entertainment, (health)care, housekeeping, etc.

An initial version of the project was produced and presented as part of another artistic residency, À Domicile, in September 2016 in Guissény (a village in Brittany with a population of 1886). The project took shape as a collection of 48 practices. As part of her residency at Les Laboratoires, Lenio Kaklea intends to pursue this research and the attendant collecting work in the town of Aubervilliers, which has a much larger population, which will therefore enable her to establish a far greater collection. The artist’s objective is to gather between 300 and 800 portraits.

The work process will be organised into 3 stages. The first phase, which will involve gathering practices among the town’s inhabitants and regular visitors of Les Laboratoires, will entail wandering the area in order to seek out practices to be gathered. During the second phase, the responses collected will be used to put together brief texts/portraits — a writing-up phase that will be carried out by Lenio Kaklea, Lou Forster and Oscar Lozano. The texts will then be used as raw material for a choreographic piece which will be an exploration of this social bodyscape.

Finally, the research and collection project will lead to the publication of a text in several languages that will provide a sort of portrait of Aubervilliers, as well as the production of a choreographic piece — a solo work that will be performed by Lenio Kaklea and shown at Les Laboratoires d’Aubervilliers.
 

 

Michaël Evrard, Inclusion sociale, Saint-Denis, 15 February 2017

 

 

 

__________________________

Encyclopédie Pratique, collecte d'Aubervilliers is a project of Lenio Kaklea created in collaboration with :
Lou Forster (researcher curator)
Oscar Lozano (assistant of research)
Agnès Henry/extrapole (administrative care)
and Anne Becker/bureau PLATÔ (production and diffusion).

and supported by the Département de la Seine-Saint-Denis

 


__________________________

(1)  Les Techniques du corps is lecture done by Marcel Mauss, the 17th of May 1934 in the presence of the Société de Psychologie, and published for the first time by the Journal de Psychologie, vol. xxxii, no 3-4, 15th March-15th April 1935. Marcel Mauss studied the notion of the « technique du corps », and its difference between cultures.

 


Entretien avec La Tierce

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Entretien avec La Tierce

 

 

Léa Bosshard : Vous travaillez en ce moment sur une nouvelle création, intitulée D’après nature, dans laquelle la notion de paysage est centrale. Comment cet intérêt est arrivé dans votre travail ? Qu’est-ce que recouvre pour vous la notion de paysage ? Et de façon plus générale, comment décrirez vous votre rapport à l’espace ? 

Séverine Lefèvre : Cet intérêt pour le paysage est issu d’une question que notre pièce précédente avait ouverte. Nous commençons toujours par créer l’espace qui nous semble propice à faire émerger une danse. De fait, nous travaillons très rarement en plateau « neutre ». On s’applique toujours à y créer des lignes de force, de tension ; à organiser suffisamment de vide et de plein pour qu’un passé intemporel puisse en émerger, tout autant que ce lieu puisse servir de base pour y construire quelque chose de nouveau. Il ne s’agit pas de ruines, mais de traces, de semi-constructions qui nous permettent de produire une danse et révéler des imaginaires qui y seraient déjà contenus. Les gestes que l’on propose pourraient avoir été faits il y a vingt mille ans, dix ans, deux siècles… À ce titre nous avons développé un principe d'écriture s'appuyant sur un fantasme, une sorte de gravure dans l’espace de tous les gestes ayant été faits à un endroit donné. Nous avons nommé ce principe « le geste rouge ».  Combien de pierres, par exemple, ont été portées ici ? Nous venons nous fondre dans cette gravure imaginaire, insérer notre corps parmi cette infinité d'autres gestes préexistants. L'écriture qui en ressort n'est alors qu'un témoignage
d'une chose ayant déjà eu lieu.

Charles Pietri : Ces questions sont du domaine de l’imaginaire, nous
ne faisons pas de recherche historique. Nous sommes plutôt sur une appréhension sensible de l’espace et il se trouve que nous avons tous
les trois souvent la même intuition. 

Sonia Garcia : Pour contextualiser l’état du travail, il faut préciser que nous ne sommes qu’au début du processus de création de notre prochaine pièce. Pour autant, on peut déjà dire qu’elle est conçue en tableaux qui correspondent à différentes heures de la journée. Un tableau pour le matin, le zénith, pour le moment du coucher du soleil, la nuit, et enfin le retour de l’aube. Nous essayons de créer des paysages qui font sens par rapport à la lumière naturelle présente à ce moment-là. Par exemple, quel serait l'espace symbolique du zénith? Quel paysage pour la nuit noire ? Dans un second temps, nous nous demandons comment le corps agit dans ce paysage qui est aussi un temps. Il s’agit d’une immersion.

LB : Est-ce une pièce qui se jouera forcément à l’extérieur ?

SG : Non, c’est une pièce pour plateau, il y aura donc des ellipses. Au départ nous souhaitions vraiment déplacer un réel, en le recréant à partir de très peu d'outils. Par exemple : comment faire apparaître la nuit sur un plateau sans éteindre les lumières ? Au-delà de la représentation visuelle de la nuit, comment peut-on la faire sentir ?

Nous réfléchissons aussi à faire une autre version en extérieur où l’on convoquerait vraiment le public à l’aube, au zénith, etc, dans des paysages différents qui seraient choisis en fonction de ce qu'ils portent en eux,
et notamment de leur lumière.

C.P. : En tant qu’interprètes, nous travaillons à ce que notre corps serve aussi ce qu'il se passe juste à côté de lui. Je veux parler ici d'un vide, d'un espace pour l'imaginaire autour des corps et au-delà. C'est important pour nous que chaque corps en jeu s'occupe de son propre trajet mais aussi du paysage dans lequel il s'inscrit, même si ce paysage est imaginaire et qu'il est le seul à le voir. Ainsi, en tant que spectateur, on sent que l'attention
de l'interprète n'est pas portée exclusivement à son corps, ses gestes, mais plutôt à ce dans quoi il est plongé et à ce que ses gestes peuvent révéler. Le corps fait alors partie du paysage, il en est le prolongement. 

LB : Dans Marcher avec les dragons de Tim Ingold (1), se dégage l’idée forte qu’il n’y aurait pas de différence entre soi et son environnement.
Selon lui, l’environnement tout comme les organismes ne sont plus considérés comme constants et autonomes. L’environnement n’existe qu’en relation aux organismes qui l’habitent et incarne l’histoire de ses interactions avec eux. Il s’appuie par exemple sur des formes d’habitat comme la hutte pour montrer à quel point la forme, la construction (au sens technique et gestuel), l’usage et l’environnement sont liés, ou tissés pour reprendre ses termes. 

CP : Nous cherchons à faire ressentir l’unité entre le corps et son environnement en passant par du "sentir". C'est-à-dire que pour évoquer de l'indicible, ou de l'invisible, nous faisons appel à du "sensible": en proposant des actions simples, en créant des images, on ouvre l'imaginaire et chacun sent ce qu'il veut, ou ce qu'il peut, en fonction de son histoire, de sa disponibilité, etc. Par exemple, dans D’après nature, nous cherchons à ce que la sensation d’un instant du jour émerge entre la musique, la danse,
la lumière. Que chaque spectateur ait sa propre version, sa propre interprétation du zénith, par exemple, grâce à une déconstruction des outils que nous offre le théâtre. Nous aimons imaginer que c’est dans l’entre que le tableau se profile pour chaque spectateur. 

SG : Dans cette même logique de "déconstruction" des outils du théâtre,
les corps ne viennent pas du plateau, mais d’une zone de repli qui se situe entre le public et la scène. Dès que l’on veut agir, on se lève et on s'avance vers cet endroit – le plateau - où quelque chose a déjà lieu. C’est le corps plongé dans le paysage qui révèle quelque chose. Alors, cette action qui rejoint la pièce en train de se faire vient, en quelque sorte, du public. 

Nous voulions par ailleurs que quelque chose vienne contredire cet état des choses très déconstruit. C’est Séverine qui endosse ce rôle. Elle contient l'entièreté de la pièce à elle seule. Elle "incarne"à la fois tous les temps, tous les objets des tableaux, elle peut venir faire apparaître une pierre ici ou un élément invisible à nos yeux (car non figuré) là, elle sait tout ce qu’il va se passer et tout ce qui s’est passé jusqu’alors. Elle ne sort jamais du plateau, tandis que nous, nous sommes des acteurs ; quand on a terminé, on retourne vers la zone de repli dont je viens de parler.

LB : Est-ce à dire qu’il s’agit d’une sorte de chœur contenu en une seule personne ?

CP : Oui en quelque sorte. Dans notre imaginaire, elle connaît aussi les pièces précédentes et celles à venir. Elle sait tout par son contour, c'est-à-dire que son savoir est au-delà d'une compréhension intellectuelle. Sa forme en volume est intimement reliée à ce qui arrive au plateau, comme si tous les temps, paysages, actions, signes... l’irradiaient tout en étant un réflecteur de ces mêmes éléments. Nous faisons également appel à des
« signes », qui sont des petites actions qui représentent pour nous quelque chose d’immense. Par exemple, dans le premier tableau, celui de l'aurore, Sonia et Séverine font une marche très lente. A un moment donné Sonia s’arrête de marcher et tend une ficelle face aux spectateurs, ce qui crée une ligne entre ses mains. 

SG : Ce n'est pas le signe de quelque chose de précis, mais ce qu'il produit enrichit, épaissit, la perception que l'on peut avoir de la pièce. Pour autant, il n'est pas "gratuit", c'est-à-dire que pour nous sa justesse est claire, mais il est très complexe d'expliquer pourquoi - en tout cas si l'on fait appel au SENS, nous n'aurons qu'une explication restreinte de l'origine de sa justesse. 

CP : Ce travail autour des signes, est très inspiré par le duo d’artistes Marie Cool et Fabio Balducci. De la même manière, la découverte de l’oeuvre de James Turell dans son rapport à la lumière et au vide a été
très importante et a beaucoup influencé nos pièces précédentes, En creux
et Inaugural

SL : J'aime beaucoup aussi le travail de Francis Alÿs, notamment  Sometimes doing something leads to nothing, où il déplace un bloc de glace au Mexique (2). Il utilise le déplacement dans l’espace comme processus générateur de fictions, de mythes. Il incarne la figure de l’homme qui marche, de l’arpenteur qui modifie la réalité du monde par le seul fait de le traverser. J’ai le sentiment que notre recherche chorégraphique peut parfois être très proche de ces questions.

LB : J’aimerais revenir sur ce que vous disiez tout à l’heure quant à la construction d’un espace pour l’investir depuis la danse. Dans Inaugural, je trouve la préparation de l’espace avec les bâtons et pavés très belle et leur retour à la fin, avec Pierre Pietri qui construit en douceur des équilibres précaires, aussi. Ça m’a fait penser aux équilibres et aux enchaînements dans la vidéo Der Lauf der Dinge (1987) de Peter Fischli et David Weiss.
Je serais curieuse de savoir plus précisément comment vous travaillez avec ces objets ? Quel place ont-ils dans votre processus de composition ?

CP : Nous utilisons souvent un processus d'écriture lié à la manipulation d’objet qui s'appuie sur des règles très strictes. On construit des structures avec des objets, puis on enlève les objets tout en conservant la nécessité des gestes et l'espace dans lequel ils ont été faits. Il ne reste donc que les corps qui peuvent soit mouler l'objet absent (nous l’appelons le "mouleur"), soit regarder la construction absente se construire ("le marcheur"), soit suggérer le mouvement du constructeur ("le lighter"), ou encore "danser" le mouvement de l'objet ("le bastonneur"). Même si nous utilisons entre nous ces termes précis, notre manière de travailler en réalité est intuitive. 

SG : Ce processus d’écriture nous permet de n’être jamais seuls : l'objet existe encore dans mon imaginaire, je peux le voir et il agit sur ma danse. Par exemple, si je tords un bout de tissu puis que je retire ce tissu tout en conservant le geste, mon attention est toujours portée à ce tissu absent. Alors je ne suis pas intéressée par mon geste, mais plus par l'intention qui l'a fait émerger, et le vide qu'il contient.

LB : Ce rapport à la manipulation d’objets est au centre de votre écriture du geste mais aussi de l’habitation de l’espace, de sa « construction » littéralement. Que pourriez vous dire de votre manière de construire l’espace scénographique ?

SL : J’ai l’impression que l’on construit d’abord des surfaces. On vient appliquer comme une seconde peau sur l’espace. Dans Inaugural, il y a
ce carré bleu qu’on appelle « la fenêtre ». Dans En Creux il y a des couvertures de survie qui dessinent un panorama qui nous encercle complètement.

SG : Pour Inaugural, « la fenêtre » est apparue lorsqu’on a eu envie d’accentuer le fait que nos corps venaient révéler des signes, comme à travers la fenêtre de l’augure. Dans la mythologie grecque, l’augure vient dessiner une fenêtre dans le ciel pour y lire les mouvements des oiseaux et des nuages et prédire en fonction de ces mouvements ce qu’il se passera. On voulait que nos gestes soient comme les oiseaux et les nuages de l’augure: des formes à interpréter. 

LB : Pour moi le plateau bleu d’Inaugural devient comme un fond d’incrustation au cinéma : une surface qui permet de détacher les gestes du fond. Dans le cas d’Inaugural l’effet est toutefois nuancé puisque les objets sont eux-aussi peints en bleu. 

Je vois dans votre travail une construction de l’espace qui serait davantage horizontal que vertical (même si ces catégories sont un peu factices), par ce plateau bleu et les bâtons qui sont au sol dans Inaugural ou l’aplat doré qui devient une ligne d’horizon dans En Creux, qui gomme les angles et semble être une ligne continue. 

CP : Oui c’est en partie lié au doré qui est une couleur très particulière. Didi-Huberman dit dans L’homme qui marchait dans la couleur (3) que lorsqu’on s’en approche on ne sait plus si on a la sensation d’avancer ou de reculer. Plus précisément, il évoque l’autel (Pala d’Oro) de la basilique San Marco de Venise pour parler de la « double distance contradictoire, un lointain qui s’approche au gré de [nos] pas». La surface dorée apparaît alors « comme pan fascinant et insituable, comme événement organique de la couleur. »

J'ai cette sensation dans En creux, même en tant que danseur, de ne plus savoir si nous avançons ou reculons. 

SL : Dans D’après nature, l’espace est aussi plutôt horizontal car le paysage défile de jardin à cour (4). Nous allons utiliser des blocs de Siporex afin de créer des paysages très minimaux pour chaque tableau. Entre chaque tableau, ces blocs de pierre blanche seront déplacés à cour où ils viendront petit à petit s'entasser, libérant l'espace pour de nouveaux paysages entrants à jardin. Cet immense travelling créé un amoncèlement des paysages passés sur un côté, un peu comme des ruines. Nous avions même imaginé au départ appeler la pièce Travellings.

LB : Je me demande si dans ce paysage horizontal ce n’est pas les corps finalement qui prennent le relais de la verticalité.

CP : En effet, nos corps sont des reliefs alors la verticalité s'exprime à travers eux. Mais les éléments scénographiques travaillent aussi énormément cette verticalité. Pour être plus précis, on travaille surtout sur le passage d'un espace horizontal à un espace vertical (une poutre longtemps restée au sol se dresse et reste seule au plateau par exemple).

LB : J’aimerais maintenant passer à la notion de seuil depuis laquelle nous vous avons invité. Voici la définition qu’en donne Rémy Héritier dans son travail : « Le seuil est une zone de l’espace qui se constitue en relation avec les différents agents qui modèlent l’espace. Ces agents constitutifs de l’espace sont d’au moins deux natures : les agents fixes comme l’architecture ou le mobilier, et les agents de passage comme les êtres vivants (pour autant on peut aussi imaginer qu’un buisson poussé par le vent entre dans cette seconde catégorie).

Le seuil est une zone d’influence plutôt qu’une simple limite (comme on dirait du seuil d’une porte). À l’image de l’attraction terrestre, le seuil est une zone dans laquelle agit une force de gravitation. En franchissant ces limites on entre dans une autre zone, un autre seuil, une autre force de gravitation. Dans l’espace tangible de la danse, des lieux sont à la croisée de plusieurs seuils et donc soumis à plusieurs forces de gravitation. » Qu’est-ce que cette définition convoque pour vous ?

SL : Quand nous avons commencé à réfléchir au seuil, nous sommes tout de suite partis sur l'idée qu'il fallait que ce soit un espace plus qu’une frontière ou une délimitation à franchir. C’est drôle cette idée de gravitation, je l’imagine comme un endroit où le son est étouffé, où tu n’entends que ton corps. Comme dans ces chambres sourdes dont parle John Cage: une pièce absorbant tous les sons, en vue de créer un silence absolu... 

SG : Moi je le vois beaucoup plus comme une ouverture, un endroit où tout est possible. Ce n’est pas forcément un endroit précis, mais à un moment donné il y a un seuil qui apparaît chez quelqu’un, un geste inachevé qui ouvre vers tous les gestes qui ne sont pas faits. 

LB : Quand nous nous sommes rencontrés à Pantin vous m’aviez confié avoir testé cette idée de seuil (dans le cadre d’un workshop que vous donniez aux Beaux-arts de Bordeaux) comme l’endroit d’initiation du mouvement. Et c’est aussi ce que j’entends dans ce que tu dis là Sonia. Pour moi ce que vous décrivez je le lierais à une autre notion qu’utilise Rémy qui est celle de la danse du milieu (5), qui désigne un endroit où toutes les trajectoires du geste sont possibles : être dans un état de corps qui permette que le geste puisse prendre toutes les directions possibles.

Le seuil dans le travail de Rémy est une notion très concrète. Elle convoque l’habitation par les danseurs de l’espace, qui dans les pièces scéniques de Rémy Héritier est souvent vertical - avec une grande place donnée au pendrillonage dans la scénographie (6). Pour le paraphraser : qu’est ce qui fait qu’à l’endroit où je me trouve je suis en lien avec la table ? Et ici en lien avec la table et la porte ? Ce serait l’espace de gravitation de la table et de la porte. Cette notion et son usage sont liés à une conception architecturale de l’espace avec des creux, des angles, des parois, etc. 

SG : Je n’arrive pas à parler de façon aussi concrète, mais je dirais de manière générale on va presque toujours tenter d’être à un endroit de seuil. Je crois que l'on souhaite que le seuil soit à l’endroit du travail même : un espace qui laisse du jeu entre la perception et l'interprétation de ce que l'on propose.

CP : Quand vous nous avez invités depuis la notion de seuil ça a aussi éclairé pour moi pourquoi j’aime tant une séquence de D’après nature dans laquelle Séverine et Sonia dansent devant un muret. À ce moment-là, tous les gestes prennent tous les sens qu’ils pourraient prendre au monde. Le seuil pour moi c’est aussi un tout petit peu avant... Il y a un retrait à soi.

SG : Oui, peut-être que pour nous le seuil d'un geste s'exprime plus à travers une présence en réserve qu’une présence au milieu. Il y a une légère pudeur, qui est une notion qu'on a beaucoup utilisé à un moment. 

LB : Est-ce que ces différentes pistes du seuil vous orientent vers une recherche spécifique pour L’usage du terrain ? Est-ce que vous savez déjà ce sur quoi vous voulez travailler au stade Sadi-Carnot à Pantin ?

SL : Nous allons continuer nos recherches sur D’après nature. Ce sera une manière de déployer notre travail sur le seuil et le paysage. Nous aurons besoin d’un temps d’immersion pour remettre en perspective nos recherches actuelles et sentir le lieu. Il s’agira d'abord de prendre les dimensions de l’espace, d'y passer du temps tout simplement, d'éprouver ses vides et ses pleins. Aujourd'hui, nous nous demandons comment nous allons travailler avec les distances par exemple. Le stade est très vaste et ce serait dommage de ne pas s'en saisir. 

CP : Oui, l'espace est vaste mais il n'est pas vide : si l'on ne parle que du son par exemple, le stade est pris entre les bruits de l’avenue, de l’école et des voies ferrées. Je ne pense pas que nos présences investiront tout l’espace. J’aimerais bien par exemple qu’on réfléchisse à n'investir qu'une seule ligne: traverser l'espace. Il nous faudra attendre le mois de juin pour voir ce que cela produit ...

 

 

 

1/- Tim Ingold, Marcher avec les dragons, Zones sensibles, 2013, Bruxelles.

2/- Francis Alÿs, Sometimes doing something leads to nothing, Mexico, 1997

3/- Georges Didi-Huberman, L’homme qui marchait dans la couleur(James Turell), Les éditions de minuit, 2001, Paris. (pages 18-19)

4/- Du point de vue du spectateur assis dans un théâtre le « jardin » désigne ce qui se trouve à gauche sur la scène et la « cour » ce qui se trouve à droite.

5/- Rémy Héritier définit précisément l’usage
qu’il en fait dans l’article
« Vers une danse
du milieu », in www.pourunatlasdesfigures.net, dir. Mathieu Bouvier, La Manufacture, Lausanne (He.so) 2018, consulté en ligne le 15/01/2018 : http://www.pourunatlasdesfigures.net/element/vers-une-danse-du-milieu

6/- Je pense notamment à Percée Persée (2012-2014), Here, then (2015) et Atteindre la fin du western (2007). Des vidéos sont disponibles sur : https://vimeo.com/user16352480

 

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Inaugural, La Tierce (image extraite d'une captation de Konstantin Lipatov)

 

Entretien avec Julien Berberat

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Entretien avec Julien Berberat

 

Léa Bosshard : Nous t’avons invité à participer au projet de recherche au stade Sadi-Carnot depuis la notion d’espace relatif qu’utilise Rémy Héritier pour définir une composition perpétuelle de l’espace par les danseurs. “L’espace relatif est une façon de considérer l’espace et ses quatre dimensions (hauteur, largeur, profondeur, temps) en perpétuels changements. L’idée est de pouvoir développer un sens permettant de reconnaître une variation et de la prendre en compte.

La notion / le processus de l’espace relatif vient directement de mon goût pour les méthodes de navigation à l’estime, que ce soit en mer ou dans les airs : privé d’au moins un des instruments de navigation, il s’agit d’estimer sa localisation géographique ou sa vitesse en établissant des équations à une ou plusieurs inconnues.

Appliqué à la danse, il s’agit de concevoir et de rendre tangible qu’il n’y a pas de différence entre soi et son environnement. Ce qui revient à dire que la notion d’environnement n’est plus opérante dans mon travail, que je devrais d’ailleurs pouvoir me passer de ce mot à court terme.”

Qu’est-ce que convoque pour toi cette définition dans ton travail ?

Julien Berberat : Ce que je comprends c’est que le corps est central dans cette définition. L’espace relatif est conditionné par ta présence, il s’agit de la construction d’un espace et d’un temps pour soi-même et par soi-même. Dans mon travail, ce sont des réflexions qui m’habitent fortement. À Pantin, c’est sur cette dimension temporelle et spatiale que je suis parti. Comment fait-on exister, comment convoque-t-on ou reconvoque-t-on des expériences personnelles dans un temps donné ? Ces expériences personnelles sont imprégnées du lieu dans lesquelles on les a vécues.

LB : De quel type d’expérience parles-tu ?

JB : Je parle d’expériences imaginées ou fantasmées. Dans le cadre de L’usage du terrain par exemple, la raison pour laquelle j’accorde tant d’importance à aller aux archives municipales et récolter ces documents, est que j’essaye de me constituer un récit de ce lieu que je ne connais pas encore. Donner vie, pour moi, à cet espace du stade, c’est aussi rendre compte d’une expérience singulière, construite par l’archive. En m’appuyant sur mon goût pour l’archive et pour ses formes standardisées, il s’agit de projeter sur un lieu une interprétation qui parte de soi. Proposer des formes de narration de l’espace conditionnées par notre point de vue propre. Pour ça, c’est important de se dire, face à des documents historiques qui raconte un lieu : comment peut-on les faire vriller et les amener ailleurs ?

Rémy Héritier : Pour abonder dans ton sens, l’espace relatif est décrit depuis la place des sujets dans une situation donnée (espace, temps, etc.) et pas selon le point de vue du regardeur. Le centre est bien la ou les personnes agissantes, et en l’occurrence les danseurs. Ensuite il y a une question de réception : comment reconnaît-on qu’un espace est apparu ? Comment cet espace apparaît également pour le spectateur ? 

JB : L’allusion à la navigation à l’estime convoque à sa manière aussi cette idée du « pour soi » dans la mesure où il s’agit, à travers l’observation d’éléments externes, de définir sa propre position.

RH : Il y a aussi cette pulsion - pour ne pas dire imaginaire - d’être toujours dans un élan vers l’avant : être prospectif en gardant la trace d’un élément passé qui se dissout dans le temps. Quand on est sur un bateau en mer ou même sur une barque au Bois de Boulogne, la trace (vagues, écume) disparaît presque instantanément dans l’eau. Ce point géographique concret disparaît au fur et à mesure qu’on s’en éloigne. La question au centre de ma pratique de l’espace relatif est : comment recompose-t-on en permanence l’espace en gardant la trace de ce point géographique qui s’efface ?

LB : Lors de l’invitation, j’ai pensé à une discussion que nous avions eu sur l’expérience de la montagne et la manière dont on passe de l’expérience empirique des sentiers à celle du plan via la triangulation. Cela faisait pour moi directement le lien avec cette idée de navigation à l’estime en l’appliquant à la montagne. Je serais curieuse que tu puisses reparler de ta manière concrète d’appréhender l’espace géographique, voire topologique.

JB : La triangulation est le pendant géographique de ma réflexion artistique et fait le lien avec ce que j’évoquais avant. Concrètement, pour aborder la triangulation, tu places deux points, tu mesures l’espace entre les deux et tu vises un troisième point. En mesurant l’angle qu’il y a avec ce troisième point, cela te permet de savoir à quelle distance il se trouve. C’est de la trigonométrie de base. Toute la cartographie est basée sur ce principe, ce sont simplement des triangles que tu reportes et qui te permettent de fabriquer une carte. C’est comme ça que j’essaye d’appréhender un lieu.
Si la perspective est de rendre public le stade Sadi-Carnot d’une manière ou d’une autre, quelle stratégie de triangulation peut-on utiliser pour le cartographier ? Dans les débuts de la cartographie, lors de l’arpentage du terrain, la découverte d’espaces inexplorés mettait les géographes dans une position de défricheurs. Il pouvait y avoir dans l’espace à cartographier un vallon, une falaise, des bêtes sauvages, etc. Cette technique implique une forme d’errance pour accéder au point suivant. Avant de mesurer de façon géométrique, tu erres, tu recherches le bon chemin. Une fois que tu as établi tes plans, tu possèdes l’espace, il n’est plus vierge. Ton parcours très sinueux dans la construction de la cartographie disparaît ensuite sous la ligne droite du plan. J’ai l’impression que c’est un peu la même chose qui se joue dans la construction de l’expérience d’un lieu : tu commences par le défricher (métaphoriquement), pour te l’approprier progressivement, le faire tien. J’essaye de m’imprégner de l’expérience du lieu et d’en constituer un récit. Pour autant je ne cherche pas à mesurer vraiment l'espace entre des points topologiques du stade Sadi-Carnot, mais plutôt de trouver qu'elle serait la nature de ces points et la distance qu'il y aurait entre eux. 

LB : Tu as dit que la triangulation pourrait être le pendant de ton travail artistique, peux tu développer ?

JB : Cette invitation est initiée par cette notion d’espace relatif, dans un espace précis, celui du Stade Sadi-Carnot. De façon générale dans mon travail je m’intéresse à l’expérience d’un lieu et à rendre visible les différentes strates de son appréhension. Ces données cartographiques sont complètement opérantes dans cette situation-là. C’est cette même réflexion qui me guide aux archives municipales. Les documents sont très normés, tout est fait pour les rendre accessibles, ils sont classés par ordre chronologique, alphabétiques, répertoriés dans des index et finalement, sont issus de sources très similaires (correspondances, articles de journaux, textes de loi…) lorsque je suis face à ces documents, j’essaie d’être  dans une errance, d’en tirer des lignes personnelles, de perturber leur ordre pour construire ma carte personnelle de ce que peut être ce lieu.

RH : Quand tu parles de carte, tu parles de carte mentale au sens figuré, n’est-ce-pas ? Ça m’intéresserait d’en savoir plus sur la nature de ces points de la triangulation. Je sais que tu n’as pas commencé la recherche, mais c’est pour me représenter une typologie possible. Cela peut-il être des points spatiaux, strictement géographiques ? Les documents aux archives sont essentiellement papiers, n’est-ce pas ? 

JB : Je ne peux pas encore donner d’éléments définitifs, n’ayant en effet pas à proprement parler enclenché la recherche. Le lieu en lui-même est déjà un point fondamental. Ensuite – même si ce n’est pas tellement présent dans les archives municipales – l’environnement sonore du stade pourrait être un deuxième point. Je lie cette dimension sonore à mon expérience générique du stade. Ensuite c’est certainement plus flou mais ce serait des formes d’occupation de l’espace. Tout à l’heure aux archives, je regardais ces photos d’évènements de gymnastique avec 30 ou 40 personnes. Il s’agit d’une occupation méthodique du terrain, de chorégraphies liées au rassemblement collectif. Même si les déplacements ne sont pas chorégraphiés, ils existent selon certaines modalités. 

 

 

LB : J’ai l’impression dans ce que tu nommes qu’il s’agit de prime abord d’un recensement : un recensement des formes d’occupation de l’espace, d’usages, de termes, etc. Voir ce qui a déjà été sollicité comme usages de ce lieu. Est-ce qu’on pourrait dire qu’il y a ces éléments et que la triangulation est une manière de les activer ? J’ai l’impression qu’il y a une dimension du récit que nous n’avons pas encore soulevé, où intervient-il ?

JB : Oui tout à fait ! Si l’on devait faire un parallèle avec les méthodes cartographiques, on pourrait dire que je suis au milieu de ce paysage archivistique et historique et que j’essaie de développer une méthode, une
« triangulation personnelle » pour activer l’espace et le transposer dans une forme lisible. C’est important de ne pas précipiter cette forme, se donner le temps de mettre au point des outils cartographiques et ensuite les mobiliser durant les trois semaines de résidence pour en faire émerger une proposition qui rende intelligible les enjeux d’espace. 

RH : Je suis d’accord avec toi, il faut pouvoir métaboliser ces premières réflexions, ces notions et expérimenter ce lien a posteriori. Ma question précédente était volontairement orientée pour comprendre dans quel volume s’inscrivait ta réflexion. En t’écoutant, je me demandais si les points sont locaux ? Finalement quelles sont les limites géographiques de cet espace ? Est-ce uniquement celui délimité par la piscine, les rails du RER, l’école, etc. ? 

LB : Et de la même manière, est-ce que ces points seraient forcément sur le même temps ? Tu parlais d’expériences sonores du stade par exemple que tu as eu dans le passé dans un autre stade que celui de Pantin, ce qui de fait situe cette expérience sur une autre temporalité et spatialité. Dans le même horizon Mathilde Villeneuve parlait hier, en lien avec cette notion, de « l’espace relatif de l’histoire », c’est-à-dire la reconfiguration constante du récit historique à petite ou grande échelle. C’est une autre manière de faire le lien avec les archives et la manière dont tu te les appropries que je trouvais intéressante.

JB : J’ai l’impression que mon travail a une certaine constance sur la digestion du reste historique. On parle beaucoup d’archives, mais il y a plein de choses qui n’ont pas ce statut et qui peuvent être plus ambiguës, des sortes d’hybrides entre des formes artistiques et des éléments d’archives. Je pense notamment aux objets des collections des musées d’anthropologie. La manière dont la société considère ces artefacts est en évolution constante : de « trophées » d’expéditions coloniales, ils deviennent des « pièces naturalistes » une fois montrés au musée du Trocadéro (je fais référence au musée du Trocadéro tel qu’il était pensé au début du XXe siècle avant de devenir le « musée de l’homme ») pour devenir des
« témoignages de la diversité culturelle » et enfin de manière contemporaine, à la manière dont ils sont présentés au musée du Quai Branly, des « œuvres d’art ». Ce que je trouve intéressant c’est qu’au centre de cette transformation ou digestion, il y a le musée. Le musée a une fonction assez puissante de recombiner l’histoire, de réinventer du récit par rapport aux collections. La manière dont je vis mon travail c’est se poser soi-même comme une sorte de musée : être dans cette posture de digestion de l’objet historique. En tant qu’artiste, on peut attendre que ce soit la production finale de cette digestion qui ait valeur d’œuvre, mais ce que je trouve intéressant c’est de mettre le processus de digestion lui-même au centre de l’attention du spectateur. C’est ce moment-là qui m’intéresse.
Ça amène à proposer d’autres statuts que celui de l’œuvre d‘art : retourner à un objet naturaliste, réhabiliter l’objet comme une archive, etc, il y a plein de combinaisons possibles. 

J’ai botté en touche je crois.

LB : Non, tu donnes de véritables clefs sur les enjeux de ton travail et notamment sur l’ambiguïté du statut de l’œuvre. Ton travail se situe à cet endroit précis de la définition de ce qui fait œuvre. 

JB : Pour formaliser ce que je dis, j’ai collecté des photographies d’une expédition de 1924 à l’Everest. Il existe une grande collection de Bentley Beetham. Il a fait beaucoup d’alpinisme, le fond d‘archive est très beau. D’une part il y a ces images et d’autre part une collection de livres du Club Alpin Suisse, lequel publiait annuellement dans un ouvrage relié (aujourd’hui il publie toujours une petite brochure sur papier glacé) des récits de montagnes, une rubrique nécrologique des gens morts en montagne, des commandes à des photographes pour des illustrations, etc.
Il y avait ces deux objets qui datent de la même époque et qui ont valeur d’archives. Ce qui m’intéressait dans ces livres qui sont envoyés à tous les membres, c’est le procédé d’impression : les images sont en héliogravure. C’est un procédé de gravure sur cuivre qui fonctionne avec l’insolation d’une image, ça permet de tirer beaucoup d’exemplaire sans dégradation de la qualité. J’avais aussi toute une série de photos de papier chiffonné (qui reproduisent des sommets alpins). Ce qui m’intéressait c’était de prendre toutes ces choses ensemble et de réfléchir à ce qui pouvait les lier. En l’occurrence les images de Bentley Beetham sont tirées d’internet, elles sont de mauvaise qualité et je l’ai volontairement accentuée. Ce que je trouve intéressant avec l’héliogravure c’est que l’on veut une image fidèle, mais il y a quand même une altération qui s’opère avec les gestes de l’imprimeur qui peut tâcher la gravure ou commettre de petites maladresses. J’avais superposé mes images de montagne à celle de Beetham, que j’ai finalement « recraché » en héliogravure. Ça m’intéresse que ça devienne des gravures. Ce dispositif d’impression a un statut particulier dans le régime de valeur de l’œuvre d’art : on n’est pas dans l’œuvre unique ni dans l’œuvre infinie. C’est un statut intermédiaire qui m’intéresse. 

LB : Je trouve ça intéressant parce qu’il y a de nombreuses choses qui ressortent et qui se recoupent, à la fois ce statut de l’œuvre d’art, l’histoire des techniques et cette valeur du beau que tu as souligné plusieurs fois sur le passage d’un statut de l’objet à celui d’œuvre d’art et qui est une question assez classique de la philosophie de l’art. 

JB : Un constat assez déconcertant pour moi c’est qu’il est très difficile de trouver des images de montagne qui ne soient pas belles et qui ne soient pas traitées comme telles. Ça m’intéressait aussi pour cette raison que les images de l’expédition de 1924, qui sont superbes, puissent être altérées dans leur matérialité. 

 

 

 

 

Le stade Sadi-Carnot, cours de gymnastique - Archives municipales de la Ville de Pantin ( ref. 3fi205)

Présentation

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L'usage du terrain

 

« Comment penser une mémoire par l’espace ? Comment convoquer par l’espace un temps qui nous dépasse ? »

Entre avril et juin 2018, le chorégraphe Rémy Héritier et la chercheuse en danse Léa Bosshard transforment le stade Sadi-Carnot à Pantin (actuellement en friche, en attente de sa reconversion prochaine) en studio de recherche et de pratique. Entre « tentative d’épuisement » d’un lieu en transition et essai d’archéologie préventive, L’usage du terrain se déploie par strates et sous une forme collaborative.

L’usage du terrain est une recherche en plusieurs étapes autour de la spatialité, à l’échelle du site particulier qu’est le Stade Sadi-Carnot à Pantin.

Cinq artistes (plasticiens, écrivains, compositeur et danseurs) sont invités à y contribuer en creusant cinq notions inhérentes au travail de Rémy Héritier: trace, espace relatif, témoin, landmark et seuil.

Entre avril et juin 2018, Rémy Héritier (avec les danseurs Nuno Bizarro, Madeleine Fournier, Sonia Garcia et Anne Lenglet), Samira Ahmadi Ghotbi (artiste visuelle), Julien Berberat (artiste visuel), Marcelline Delbecq (artiste et écrivaine), Sébastien Roux (compositeur) et La Tierce (association des trois chorégraphes et danseurs Sonia Garcia, Séverine Lefèvre et Charles Piétri) s’approprieront l’une de ces composantes de l’écriture chorégraphique de Rémy Héritier pour développer un projet spécifique.

Chaque résidence de trois semaines donnera lieu à une publication, occasion de rendre public l’état des recherches et de convier une personnalité extérieure, dont le champ de connaissances mettra en perspective tant le résultat que le processus dans sa globalité.

Le travail des six artistes sera par ailleurs documenté quotidiennement et exposé aux Laboratoires d’Aubervilliers. Cette visibilité assurera le lien entre le « faire » et l’archive, comme elle invitera le public à se rendre au stade pour assister au travail en cours et rencontrer les protagonistes.

Un film tourné par le réalisateur Mehdi Ackermann pendant trois mois constituera un archive en mouvement de L’usage du terrain.

 

 

 

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Ce projet est porté par Les Laboratoires d’Aubervilliers et la compagnie GBOD! (soutenue par la DRAC Hauts-de-France). Il reçoit le soutien de la Ville de Pantin, du Centre national de la danse (Aide à la recherche et au patrimoine en danse), Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis et du Fonds de Soutien à l’Innovation et à la Recherche d’Arcadi Île-de-France  

 

 

L'usage du terrain, Stade Sadi-Carnot à Pantin, 2018 _ tous droits réservé

Présentation

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Encyclopédie Pratique, collecte d’Aubervilliers


« Tout le monde a des pratiques. Des pratiques intimes ou collectives, spirituelles ou corporelles, originales ou banales; des pratiques inventées, des pratiques apprises, des pratiques plaisantes ou fastidieuses, des pratiques sociales ou invisibles. Des habitudes se sont doucement constituées en rituels - faire la vaisselle, de la couture, la prière, du shopping, de la boxe, se raser, roder, prendre les transports en commun, poster des vidéos, photographier des canettes dans la rue, écouter du reggae, se promener dans des chantiers.
Ma pratique est de collecter des pratiques. Avec le projet de l’Encyclopédie Pratique - collecte d’Aubervilliers, je souhaite créer un corps vaste de pratiques des habitants de la ville et des habitués des Laboratoires qui seront éditées dans un livre et serviront de matériaux à une pièce chorégraphique ».

Lenio Kaklea

 

 

Pour sa résidence aux Laboratoires d’Aubervilliers démarrée en janvier 2017, Lenio Kaklea propose un projet qui s’ancre sur le site et le contexte spécifique d’Aubervilliers. Il s'est agit d’interroger l’idée de corps social via la création d’une Encyclopédie Pratique, et plus précisément d’une collection des pratiques corporelles liées à Aubervilliers et aux habitués des Laboratoires.

L’Encyclopédie Pratique est un projet site-specific en cours conçu et développé par l’artiste et chorégraphe depuis 2016. Le projet recèle une réelle dimension anthropologique et prend plus spécifiquement sa source dans le célèbre texte de Marcel Mauss, Les Techniques du corps, publié en 1934. Au sein de ce texte, l’anthropologue français suggère que les gestes utilitaires sont aussi divers et multiples que les langues le sont :

   « J’appelle technique un acte traditionnel et efficace et il doit être à
      la fois traditionnel et efficace. Il n’y a pas de technique ou de
      transmission sans tradition. Voici comment les humains se différencient
      des animaux : par la transmission de leurs techniques et probablement
      par la dimension orale de leur transmission ».
      __ Marcel Mauss, Les Techniques du Corps (1), 1934.

A travers son enquête, Lenio Kaklea souhaite entamer un travail de recherche pour cerner et révéler l’immense diversité des mouvements dans la culture humaine, via notamment la réalisation d’un catalogue de ses pratiques corporelles. Elle souhaite également que cette enquête soit aussi l’occasion de révéler notre relation contemporaine à la nourriture, à l’ornement, à la technologie, à l’amour, au sexe, à la nature, à la spiritualité, à l’économie, au travail, à la mort, au divertissement, aux soins, à l’entretien ménager, etc.

Une première version de ce projet a été produit et présenté dans le cadre de la résidence artistique À Domicile en septembre 2016 à Guissény (village de 1.886 habitants situé en Bretagne). Le projet a pris la forme d’une collection de 48 pratiques. Dans le cadre de sa résidence aux Laboratoires, Lenio Kaklea souhaite poursuivre ce travail et la collecte qui l’accompagne dans la ville d’Aubervilliers, dont le nombre d’habitants est bien supérieur et permettra de constituer une collection plus importante. L’objectif que l’artiste se donne est de rassembler environ 300 portraits.

Le processus du travail s’est organisé en trois temps.

Le premier moment, celui de la collecte auprès des habitants et visiteurs, a nécessité l’arpentage du territoire pour aller à la rencontre des pratiques à collecter.

Dans un second temps, les réponses recueillies ont fait l’objet de courts textes-portraits, temps d’écriture réalisé par Lenio Kaklea, Lou Forster et Oscar Lozano, afin de servir de matière première pour la création d’une pièce chorégraphique qui a pour objectif de se pencher sur ce paysage des corps sociaux.

Enfin, l’ensemble de cette recherche et collecte aboutit à la publication de ces courts textes-portraits constituant une sorte de portrait d’Aubervilliers. Cette publication, éditée par Les Laboratoires d'Aubervilliers, paraît sous le titre Encyclopédie Pratique, collecte d'Aubervilliers. Une pièce chorégraphique, solo porté par Lenio Kaklea et intitulé Portraits choisis, est par ailleurs programmée aux Laboratoires du mercredi 7 au samedi 10 mars 2018.


 

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Encyclopédie Pratique, collecte d'Aubervilliers est un projet de Lenio Kaklea réalisé avec la collaboration de :
Lou Forster (chercheur curator)
Oscar Lozano (assistant de recherche)
Agnès Henry/extrapole (accompagnement en administration)
et Anne Becker/bureau PLATÔ (production et diffusion).

et a reçu le soutien du Département de la Seine-Saint-Denis.

 

 


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(1)  Les Techniques du corps est une conférence prononcée par Marcel Mauss, le 17 mai 1934 devant la Société de Psychologie, et publiée pour la première fois par le Journal de Psychologie, vol. xxxii, no 3-4, 15 mars-15 avril 1935. Marcel Mauss y étudie la notion de « technique du corps », et ses variations entre les cultures.

 

Partners & Networks

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Partner institutions:

Les Laboratoires d’Aubervilliers is a not-for-profit association underwritten by the Ville d’Aubervilliers, the Département de la Seine-Saint-Denis, the Conseil régional d’Île-de-France, the Ministère de la Culture et de la Communication (Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Île-de-France).

               


              


Private partners:

Les Laboratoires are developping local partnerships with the private sector (in Aubervilliers and Seine Saint-Denis). To find out how we can work together, download the partnership file HERE or
directly contact Pauline Bonard-Chabot
at +33 1 53 56 15 90 and by e-mail p.bonard-chabot@leslaboratoires.org.

Networks:

> Les Laboratoires is a member of Tram, a network of 31 structures engaged in the production and exhibition of contemporary art in Île-de-France region, that gives evidence of the vitality and the richness of artistic creation in the greater Parisian area.

> Les Laboratoires is a funding member of Cluster, a network created in June 2011, gathering eight internationally operating contemporary visual art organisations actively involved in their local contexts, fostering their embeddedness within their surroundings. Cluster members include Casco – Office for Art, Design and Theory, Utrecht; CAC Bretigny; Les Laboratoires d’Aubervillers; Tensta Konsthall, Stockholm;  The Showroom, London; CA2M Centro Dos De Mayo, Madrid; The Israeli Center for Digital Art, Holon; and Parasite Museum of Contemporary Art, Ljubljana. Cluster is financially supported by the European Cultural Foundation.

 

 

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