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De la conférence comme film

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De la conférence comme film
Érik Bullot


Au fil des métamorphoses du cinéma à l’ère numérique, la séance de projection en salle, après avoir coïncidé depuis son institutionnalisation avec la définition même du septième art dans l’esprit du public, connaît de multiples renversements qui attestent une perte de stabilité ontologique du médium. Le rituel de la séance représente-t-il une simple parenthèse dans l’histoire du cinéma ? Non seulement le film s’« expose » désormais dans les musées, les galeries ou les centres d’art, s’affiche sur l’écran des ordinateurs et des téléphones mobiles, se dissémine dans l’espace social, mais la présentation des films emprunte souvent de nouveaux avatars, pédagogiques ou bonimentés, proches de la performance didactique, de la conférence, de l’impromptu poétique ou de la séance de ciné-club. Il est frappant d’observer la récurrence dans le champ de l’art contemporain de la « conférence performative » en relation avec le cinéma. Sous des formes multiples, hybrides, ambivalentes, ces conférences semblent renouer avec le cinéma des premiers temps tout en accusant une dimension souvent conceptuelle (la conférence se substitue au film lui-même). Pensons aux séances Alchimicinéma au cours desquelles sont présentés par Jean-Marc Chapoulie, à la fois projectionniste et bonimenteur, des films trouvés, amateurs, familiaux, industriels, scientifiques ou pédagogiques, selon des formats et des durées très divers, au film de Christelle Lheureux L’Expérience préhistorique (2003-2008), remake des Sœurs de Gion (Mizoguchi, 1936), dont chaque projection donne lieu à des exercices de boniment en hommage à la figure du benshi [1]. Citons les conférences, intitulées Plans de situation, données par l’artiste Till Roeskens qui relate avec tact et humour ses déambulations dans le paysage urbain, traçant la cartographie complexe de ses déplacements, restituant les dialogues échangés avec ses interlocuteurs, détaillant l’architecture vernaculaire des lieux (l’expérience devient parfois un film, comme pour Plan de situation : Joliette, 2010), les lectures de Marcelline Delbecq, placée devant un écran sur lequel sont projetés des textes qui font office de sous-titres (Glimpses) ou les performances didactiques de Louise Hervé et Chloé Maillet proposant une « bande-annonce en acte » d’un film à venir (La bande-annonce de notre film est une performance, 2006) [2].





Projeté par fragments sur un écran, évoqué par des récits ou des légendes, virtuel dans le contexte d’un simple énoncé performatif, le film est mis en équation. Il ne s’agit plus seulement de le projeter, mais de l’inventer sous les yeux du spectateur, de l’animer, voire de le réanimer. En instituant un mode d’adresse par le biais de causeries et d’improvisations verbales, la relation au spectateur est renouvelée. Ces différentes conférences performatives expriment un vœu didactique au diapason, semble-t-il, du « tournant éducatif » de l’art contemporain qui voit des artistes inventer des dispositifs pédagogiques singuliers, démocratiques ou libertaires [3]. La conférence performative s’inscrit dans ce courant de recherche artistique lié à la production du savoir en déconstruisant la forme de la leçon, en moquant la figure du maître, en distribuant la parole [4]. On peut aussi interpréter ces performances comme des formes dérivées du dispositif du cinéma lui-même, œuvrant à son élargissement par un dialogue critique avec son histoire. Elles relèvent en effet de la tradition des spectacles de lanterne magique, destinés au divertissement et à la pédagogie, mais aussi du cinéma des premiers temps marqué par la présence du bonimenteur [5]. La conférence et le bonimenteur n’ont d’ailleurs jamais totalement disparu. Différentes formes ont subsisté dans des contextes pédagogiques : classes de physique ou de sciences naturelles dans les milieux scolaires, faisant usage d’un projecteur 16 mm, d’un épiscope ou d’un rétroprojecteur ; conférences publiques consacrées à la géographie ou à l’ufologie. Mentionnons les conférences organisées par l’association Connaissance du monde, fondée en 1945 par Camille Kiesgen, qui ont connu un réel succès populaire dans certains pays francophones. Contemporain d’un moment de diffusion du savoir où des personnalités scientifiques se livrent à des expériences filmiques et médiatiques (Alain Bombard, Haroun Tazieff, Jacques-Yves Cousteau, Michel Siffre), le succès des conférences est grand [6]. Cette tradition représente une ligne généalogique possible à laquelle les performances dans le champ de l’art contemporain font parfois allusion, de manière ironique, pour sa part d’approximation scientifique, de confusion entre le théorique et l’anecdotique, comme le soulignent les reproches adressés par l’auteur de Tristes tropiques aux « conteurs d’aventures » qui se produisent salle Pleyel.

        « Le détail des caisses emportées, les méfaits du petit chien du bord, et, mêlées aux anecdotes, des bribes d’information délavées, traînant depuis un demi-siècle dans tous les manuels, et qu’une dose d’impudence peu commune, mais en juste rapport avec la naïveté et l’ignorance des consommateurs, ne craint pas de présenter comme un témoignage, que dis-je, une découverte originale » [7].

Dans un film ironique et grave, Connaissance du monde (Drame psychologique) réalisé en 2004, le cinéaste Philippe Fernandez rend hommage au dispositif de la conférence. Interprété par Bernard Blancan, le causeur spécialiste d’ufologie, cinéaste amateur épris de théories sur les rencontres rapprochées [8], présente son film de voyage tourné sur l’île de Pâques. Connaissance du monde confond progressivement le discours érudit et quelque peu délirant du conférencier et le film d’aventure géographique au cours d’un processus troublant qui témoigne d’une curieuse porosité entre le film et la conférence.

Mais quel est le lien, de manière plus générale, entre le cinéma des premiers temps, la figure du bonimenteur, la conférence illustrée, et la « conférence performative » contemporaine ? Ce lien semble obscur, indirect. L’histoire du cinéma travaille à rebrousse-poil par retours et survivances, comme en témoignent les lacunes historiographiques entre le cinéma élargi des années 1960-70, oublié, voire refoulé, au cours des années 1980-90, et le cinéma d’exposition contemporain qui multiplie à loisir les écrans, exhibe les projecteurs, invite le spectateur à déambuler, actualisant une mémoire dont il est souvent le dépositaire à son insu [9]. Comment penser ce laps, ce retard ou ce délai ? Est-il structurel, dû à la nature fragile et éphémère de la performance, ambivalente dans sa relation à l’archive, ou traduit-il un jeu plus complexe entre le cinéma et ses élargissements ? Qu’en est-il à cet égard de la conférence ? En supposant la présence de l’artiste ou du cinéaste, projectionniste ou bonimenteur, doué de parole, et la possibilité d’une projection, réelle ou virtuelle, la conférence ressortit-elle à la catégorie du cinéma élargi, à la manière d’un nouveau paradigme ? L’actualité récente de cette forme nous invite à poser quelques jalons d’une généalogie, discontinue et lacunaire, de la conférence comme film.


« C’est la première fois qu’on introduit le ciné-club dans le cinéma, c’est-à-dire qu’on préfère la réflexion ou les débats du cinéma sur le cinéma au cinéma ordinaire en tant que tel», déclare Daniel, le héros du Traité de bave et d’éternité (Isidore Isou, 1951) sur la bande sonore du film, en sortant, de manière sans doute allégorique, d’une séance de ciné-club où est projeté un film de Chaplin, L’Opinion générale, altération du titre original L’Opinion publique. On ne peut qu’être frappé par les propositions lettristes sur le renversement de la séance de cinéma. Isidore Isou annonce la primauté du débat sur le film. « Le cinéma étant mort, on doit faire, du débat, un chef-d’œuvre. La discussion, appendice du spectacle, doit devenir le vrai drame. On renversera ainsi l’ordre des préséances » [10]. Contemporaine d’une crise de l’avant-garde à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la leçon lettriste répond à une clôture historique du médium en revendiquant un âge ciselant du cinéma, caractérisé par la « destruction des ensembles et l’émiettement des particules » et un principe d’autoréflexivité. « Je crois premièrement que le cinéma est trop riche. Il est obèse. Il a atteint ses limites, son maximum. Au premier mouvement d’élargissement qu’il esquissera, le cinéma éclatera ! », énonce Daniel, péremptoire. Il s’agit dès lors d’introduire la réflexion dans le film lui-même, de procéder à un montage discrépant qui exaspère la disjonction entre le son et l’image, de ciseler le matériau photographique par des interventions directes sur la pellicule. Parallèlement à ces différentes stratégies pratiquées par Isou dans son film, la bande sonore donne à entendre un long discours qui bonimente le projet sous la forme d’un manifeste. Le film est-il devenu une conférence fleuve [11] ? En novembre 1951 au Musée de l’Homme à Paris, lors de la présentation de son film Le film est déjà commencé ?, Maurice Lemaître propose une séance de syncinéma qui vise un élargissement du cinéma en incorporant l’intervention d’acteurs, la participation des spectateurs et des actions sur l’écran. Dans la version du film publiée en 1952, accompagnée d’une préface d’Isou et de « Notes sur le syncinéma », Lemaître insiste sur la nature à la fois discursive et performative du film en décrivant précisément la bande sonore et les interventions dans la salle. Il souhaite opérer une « transformation de la représentation cinématographique en un combiné théâtral avec participation du film, par l’introduction des éléments salle et écran dans le spectacle cinéma » [12]. Autant de propositions qui opèrent une déconstruction du rituel de la séance par un acte performatif, selon la terminologie austinienne des actes de langage, à l’instar de la théorie du cinéma infinitésimal développée par Isou qui confie à l’artiste le soin de proposer des éléments ou des énoncés pour un film imaginaire. On en trouve de nombreux exemples chez le lettriste Roland Sabatier.

           « […] l’artiste présente des notes, des ébauches diverses, des scénarii n’ayant encore, selon ses dires, jamais été rendus publics. En les proposant, l’artiste exprime le regret de n’avoir pas eu suffisamment de moyens matériels pour réaliser, notamment, des œuvres sur pellicule. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il invite son assistance, après qu’elle ait pris connaissance de ces traces, à effectuer un voyage mental, à la suite duquel il peut y avoir une discussion évolutive et inédite sur le thème de l’homologation » [13].

Ces différents exemples qui procèdent à un renversement de la séance anticipent certains postures de l’art conceptuel, à l’instar des instructions de Sol LeWitt ou des discussions de Ian Wilson. Pensons à la « dématérialisation » de l’œuvre et à l’importance accordée à la dimension verbale de la performance. On peut s’interroger là encore sur l’amnésie qui a recouvert les activités lettristes, en dépit de quelques travaux méritoires, témoignant d’une réelle résistance à inscrire dans l’histoire du cinéma ces tentatives d’élargissement.

La situation américaine est sensiblement différente en regard de la reconnaissance institutionnelle du cinéma expérimental au sein de l’enseignement artistique et du statut des avant-gardes. Sans doute John Cage aura-t-il été l’un des artistes majeurs à avoir inventé une forme originale et singulière pour ses conférences « en utilisant », écrit-il « des moyens de composition analogues à mes moyens de composition utilisés dans la musique » [14]. Dans son volume Silence, publié en 1961, plusieurs transcriptions de ses conférences sont accompagnées de didascalies et d’indications de durée et de rythme qui font de ces causeries de réelles performances musicales par leur jeu réglé de la parole.

        « Mon intention a souvent été de dire ce que j’avais à dire d’une manière qui servirait d’exemple ; qui pourrait, éventuellement, permettre à l’auditeur d’éprouver ce que j’avais à dire plutôt que d’en entendre simplement parler. Ceci veut dire que, me consacrant comme je le fais à des activités diverses, je me suis efforcé d’introduire dans chacune d’elles des aspects limités par les conventions à l’une ou à plusieurs des autres » [15].

La conférence n’est plus l’exercice d’illustration ou de promotion de l’œuvre artistique, à la manière de nombreuses conférences d’artistes qui passent en revue chronologiquement leurs productions, mais le lieu d’une invention formelle permettant à des « éléments musicaux (temps, son) de s’introduire dans le monde des mots ». Les solutions imaginées par Cage sont nombreuses, comme le révèle la typographie du volume qui multiplie les polices et les solutions graphiques. Pour « 45’ for a Speaker » (Composer’s Concourse, Londres, 1954), le conférencier dispose de deux secondes par ligne tandis que pour « Indeterminacy » (Exposition universelle de Bruxelles, 1958), constitué d’un répertoire de courtes histoires, il dispose d’une minute par récit, ce qui l’oblige à accélérer ou ralentir le débit selon la longueur de chaque histoire et induit une marge d’indétermination. Le texte de la conférence est semblable à une partition que le conférencier doit interpréter ou performer. En régulant le rythme de la parole, la conférence obéit à des principes de composition musicale qui l’assimile à une forme artistique propre.

Le 30 octobre 1968, au Hunter College de New York où il enseigne la photographie et le cinéma, le cinéaste américain Hollis Frampton présente une conférence, intitulée de manière tautologique, « A Lecture » [16]. Après avoir mis en marche un magnétophone placé devant le public, il se dirige vers le fond de la pièce près du projecteur 16 mm qu’il actionnera selon les indications de la voix préenregistrée, confiée à un alter ego, le cinéaste canadien Michael Snow. Le conférencier est-il devenu projectionniste ? Rappelons qu’un an auparavant Frampton s’écroule dans le loft de Wavelength (Snow, 1967). La conférence obéit à un lent mouvement spéculatif. Le discours envisage dans un premier temps les circonstances générales de la séance cinématographique pour questionner ensuite, de manière ironique et spéculaire, les modalités de la situation présente. Après avoir évoqué l’obscurité de la salle, le conférencier souligne les propriétés du rectangle de lumière de l’écran.

        « Ce n’est qu’un rectangle de lumière blanche. Mais c’est en même temps tous les films. Nous ne pourrons jamais en voir plus à l’intérieur de notre rectangle, seulement moins » [17].

Un film est rendu visible, nous dit-il, par un effet physique de soustraction lumineuse. Après que le projectionniste ait placé un filtre rouge devant l’objectif, la voix déclare :

        « Si l’on voyait un film rouge, s’il s’agissait là d’un film de couleur rouge, n’en verrions-nous pas davantage ? Non. Un film rouge soustrairait le vert et le bleu de la lumière blanche de notre rectangle. Ainsi, si nous n’aimons pas ce film-là en particulier, nous ne devons pas dire : Il n’y en a pas assez ici, je veux en voir plus. Nous devons dire : Il y en a trop ici, je veux en voir moins » [18].

L’énoncé est paradoxal. Alors qu’aucun film physique n’est projeté sur l’écran, le faisceau lumineux est censé contenir tous les films possibles. L’expérience a priori déceptive du spectateur se révèle riche d’enseignement philosophique, rappelant l’allégorie platonicienne de la caverne. En plaçant sa main ou un cure-pipe devant le projecteur, Frampton actualise un film possible pour en proposer une définition minimale. « Il semble bien que soit film tout ce qu’on peut mettre dans un projecteur et qui en module le faisceau de lumière » [19]. Le conférencier insiste sur les conditions de l’expérience filmique : la mécanique de précision constituée par le projecteur et la partition du film, à la fois « notation et substance de l’œuvre ». Mais que voit le spectateur ? Au-delà du référent, dit-il, c’est le support du film lui-même, constitué d’unités discrètes, qui est le sujet de tous les films. Le film est le matériau de travail du cinéaste. Grâce à l’usage d’outils mécaniques, l’artiste de cinéma (artist in film) peut se tenir éloigné de toute expression personnelle, « enjeu spécifique à une très brève période de l’histoire, aujourd’hui terminée », en retrouvant « les conditions et les limites fondamentales de son art » [20]. Définition moderniste de l’artiste de cinéma, nuancée par un soupçon d’ironie dû au léger trouble qui s’instaure entre l’artiste de cinéma, l’auteur du texte et le conférencier, en écho au texte de Roland Barthes paru l’année précédente, « La Mort de l’auteur » [21]. Qui parle ? Est-ce l’auteur du texte, présent dans la salle mais dissimulé près du projecteur, cinéaste projectionniste ? La voix préenregistrée par un second cinéaste, alter ego de l’auteur ? Où est le conférencier ? Au-delà de son caractère moderniste et autoréférentiel, la conférence œuvre à une dissociation de ses paramètres — la salle, l’écran, le projecteur, le film, le conférencier, la voix — pour proposer au spectateur une expérience d’analyse filmique, proche en ce sens des travaux du paracinema. Pensons à l’installation d’Anthony McCall, Line Describing a Cone (1973) ou aux Yellow Movies (1973) de Tony Conrad qui visent à produire chez le spectateur une réflexion sur la nature du film.

En février 1964 au Surplus Dance Theater de New York, Robert Morris donne une conférence, intitulée « 21.3 » [22]. Mimant le protocole classique de la conférence (pupitre, carafe et verre d’eau), l’artiste lit l’introduction du texte de Panofksy, Studies in Iconology, (Essais d’iconologie, 1939) mais l’auditeur s’aperçoit rapidement que les mouvements du causeur et la voix diffusée ne coïncident pas. Morris utilise en fait sa propre voix préenregistrée et procède à un play-back en suivant une partition qui codifie également chacun de ses gestes. Réduite à une sorte de simulacre burlesque, l’autorité scientifique est sapée par la chorégraphie de l’artiste. Rappelons que Morris vient d’être nommé au Hunter College au moment de sa conférence, exerçant une ironie sur sa propre situation d’enseignant [23]. Qu’il s’agisse de la discrépance opérée par les lettristes, des contraintes de lecture cagiennes ou des dispositifs techniques d’enregistrement utilisés par Morris ou Frampton, on peut s’interroger sur l’insistance de la disjonction entre le corps et la parole, l’image et le son. Ces stratégies ne sont pas sans rappeler l’art de la ventriloquie qui voit le sujet se dédoubler de manière simultanée en causeur et en écouteur, échapper au synchronisme, manifester des effets d’« inquiétante étrangeté » [24]. Sans doute l’impératif de dissociation vocale est-il la condition de possibilité d’un acte réflexif de la part de l’artiste ou du cinéaste, doubleur dédoublé à la manière d’un ventriloque. Lors de l’inauguration du Pacific Cine Centre de Vancouver en 1986, différents artistes et cinéastes sont invités à venir présenter leur conception de l’avant-garde. Participent à ce colloque Michael Snow, Patricia Gruben, David Rimmer, Joyce Wieland, Ross McLaren et Al Razutis. L’intervention de ce dernier est assez singulière. Une marionnette posée sur ses genoux, il simule une situation de ventriloquie grâce à un enregistrement, procédé technique qui lui permet d’exercer une moquerie caustique sur l’importance de la psychanalyse dans les analyses filmiques. Peu après son intervention, il bombe au bas de l’écran la phrase : « AVANT-GARDE SPITS IN THE FACE OF INSTITUTIONAL ART. » Documenté dans le film On the Autonomy of Art in Bourgeois Society, ou Splice (Doug Chomyn, Scott Haynes et Al Razutis, 1986), l’épisode témoigne d’une scission de la figure de l’artiste (ou du maître) qui lui permet d’œuvrer, par le biais d’un fétiche, à une critique radicale et désabusée de l’avant-garde. C’est en procédant à un effort de dissociation que le cinéaste est en mesure de réfléchir sa propre pratique et de définir sa position.

On remarquera que chacune de ces performances ou stratégies artistiques traduit une situation de crise : clôture de l’avant-garde, relation à l’institution, dédoublement de l’artiste en professeur. Assurément la place prise aujourd’hui par la conférence dans le champ de l’art contemporain, la manière dont le film est parfois performé sous la forme d’un simple énoncé, la dissociation ironique des éléments du discours esthétique, le renversement de la séance, sont les signes d’un âge critique (ou d’un « tournant éducatif ») du cinéma contemporain qui nous invitent à considérer la conférence comme un paradigme dans l’histoire (au futur antérieur) du cinéma élargi. Le cinéma est entré dans son âge ventriloque.


Ce texte a été publié dans la revue Décadrages, n°21-22, « Cinéma élargi », Lausanne, 2012, p. 27-37.




[1]  Cf. Jean-Marc Chapoulie, Alchimicinéma, Dijon, Les presses du réel, 2008 ; Jean-Christophe Royoux, « Un remake multipiste », http://www.pointligneplan.com/un-remake-multipiste.

[2]  Cf. Till Roeskens, « À propos de certains points dans l’espace », Cahiersdu post-diplôme, n° 1, Poitiers, École européenne supérieure de l’image, 2011, p. 120-125 ; Marcelline Delbecq, « Des impressions, des ombres », Trafic, n° 72, Paris, P.O.L., Hiver 2009, p. 136-142. ; Louise Hervé et Chloé Maillet, « La performance de Prosper Enfantin », dans Benoît Maire (dir.), Vivre dangereusement… jusqu’au bout, Paris, Palais de Tokyo, Éditions du Cercle d’art, 2011, p. 69-85.

[3]  Paul O’Neill et Mick Wilson (dir.), Curating and the Educational Turn, Londres, Open Editions / de Appel, 2010.

[4]  Thomas Clerc, « Le régime didactique de la performance », artpress 2, n° 18, Performances contemporaines 2, 2010, p. 103-112.

[5]  Lire à ce sujet Jacques Perriault, Mémoires de l’ombre et du son, Paris, Flammarion, 1981 ; Germain Lacasse, Le Bonimenteur de vues animées, Paris/Québec, Méridiens Klincksieck/Nota Bene, 2000 ou, plus récemment, Rick Altman, Silent Film Sounds, New York, Columbia University Press, 2004 ; Giusy Pisano, Valérie Pozner (dir.), Le muet a la parole, Paris, AFRHC, 2005 ; Alain Boillat, Du bonimenteur à la voix-over, Lausanne, Éditions Antipodes, 2007.

[6]  La première conférence fut donnée par Paul-Émile Victor en 1945 à la salle Pleyel à Paris. Citons parmi quelques-uns des conférenciers : Éric Courtade, Claude Pavart, Yves et Alain Mahuzier, René Vernadet, Gaston Rébuffat, Vitold de Golish, Marcel Isy-Schwart, Louis Panassié. Il serait intéressant d’étudier la relation entre la forme de la conférence géographique illustrée et les dispositifs de parole, parfois en direct, des films de Jean Rouch.

[7]  Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Paris, Plon, 1955, p. 14.

[8]  Selon le système de classification de Hynek, les rencontres rapprochées désignent l’expérience d’un témoin face à un OVNI. Ces rencontres sont de trois types en fonction de la proximité du contact, de la présence de traces ou d’un éventuel occupant.

[9]  Volker Pantenburg adresse cette question dans « 1970 and Beyond. Experimental Cinema and Installation Art », in G. Koch, V. Pantenburg, S. Rothöhler (dir.), Screen Dynamics. Mapping the Borders of Cinema, Vienne, Österreichisches Filmmuseum, 2012, p. 78-92. Lire également sous l’angle exclusivement anglo-saxon, Steven Ball, David Curtis, David, A. L. Rees, Duncan White (dir.), Expanded Cinema, Londres, Tate Publishing, 2011.

[10]  Isidore Isou, « Esthétique du cinéma », ION, n° spécial sur le cinéma, Paris, 1952 [rééd. Jean-Paul Rocher Éditeur, Paris, 1999, p. 152.]

[11]  Il serait intéressant d’étudier en relation avec la « conférence comme film » le « film comme conférence ». C’est déjà le cas d’Isou avec Traité de bave et d’éternité. Nous pourrions citer par exemple, outre les films situationnistes de Guy Debord, Le Gai Savoir (Godard, 1968), Le Camion (Duras, 1977), Hitler, un film d’Allemagne (Syberberg, 1978) ou Histoire(s) du cinéma (Godard, 1988-98).

[12]  Maurice Lemaître, Le film est déjà commencé ?, Paris, Éditions André Bonne, 1952, p. 71.

[13]  Frédérique Devaux, Le Cinéma lettriste, Paris, Paris Expérimental, 1992, p. 190.

[14]  John Cage, Silence [1961], trad. Monique Fong, Paris, Denoël, 2004, p. 11.

[15]  Ibid.

[16]  Cf. Hollis Frampton, « Une conférence », trad. S. Chauvin, repris dans L’Écliptique du savoir, Paris, Éditions Centre Georges Pompidou, 1999, p. 119-125. [« A Lecture », in Circles of Confusion, Rochester, Visuel Studies Workshop Press, 1985, p. 193-199]. L’enregistrement de la conférence par Michael Snow est disponible sur le double DVD édité par Criterion, A Hollis Frampton Odyssey, 2012,.

[17]  « Une conférence », op. cit., p. 120.

[18]  Ibid., p. 120.

[19]  Ibid., p. 122.

[20]  Ce rejet de l’expression personnelle n’est pas sans rappeler l’anecdote racontée par Cage. « Une élève de Mies van der Rohe est venue le trouver et lui a dit, “ J’ai du mal à travailler avec vous. Vous ne laissez aucune place à l’expression personnelle. ” Il lui a demandé si elle avait un stylo sur elle. Elle a dit que oui. Il lui a dit “ Écrivez votre nom ”. Elle a écrit son nom. Il lui a dit, “ Voilà ce que j’appelle expression personnelle ”. (Silence, op. cit., p. 158)

[21]  Le texte de Roland Barthes paraît d’abord en anglais en 1967 dans la revue Aspern 5+6, numéro conçu et édité par Brian O’Doherty sous la forme d’une boîte consacrée au minimalisme. Mentionnons également le texte de la célèbre conférence de Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », publié en 1969, repris dans le volume Dits et écrits I, Paris, Gallimard, 2001, p. 817-849. Foucault donnera en 1979 une version modifiée de cette conférence à l’Université de Buffalo (État de New York) où enseigne Hollis Frampton dans le Département de Media Study.

[22]  Lire notamment Anaël Lejeune, « 21.3 (ou le discours claudicant) », (Sic), n° 1, octobre 2006, Bruxelles, p. 7-15 ; Paul Bernard, « Morris schizophone, Notes sur 21.3 », Volume 04, 2012, Paris, p. 97-104. À l’instigation de Robert Morris, la performance a été rejouée par Michael Stella, filmée par Babette Mangolte, en 1994. Cette version est désormais diffusée dans les expositions rétrospectives de l’artiste.

[23]  La conférence de Frampton doit être interprétée comme un commentaire indirect, une reprise, de la performance de Morris. Notons qu’ils sont tous les deux enseignants au Hunter College en 1968.

[24]  Je me permets de renvoyer à mon texte « Un film en moins », paru en brochure pour l’exposition La Fabrique des films (Maison d’art Bernard Anthonioz, Nogent-sur-Marne, 2012), à l’initiative de pointligneplan, repris dans les Cahiers du post-diplôme, n° 2, Poitiers, École européenne supérieure de l’image, 2012, p. 76-83. Lire également, dans une perspective lacanienne, l’ouvrage récent de Mladen Dolar, Une voix et rien d’autre, trad. Christine Vivier, Caen, Nous, 2012, notamment le chapitre « “Physique” de la voix », p. 75-103.


Légendes

Philippe Fernandez, Connaissance du monde (Drame psychologique), 2004

Isidore Isou, Traité de bave et d'éternité, 1950

 


Yael Davids

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Yael Davids

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Yael Davids, née près de Jérusalem, vit et travaille à Amsterdam. Elle a étudié les beaux arts au Gerrit Rietveld Academie (Amsterdam), la sculpture au Pratt Institute (New York) et la chorégraphie et la danse à la Remscheid Academie (Remscheid).

Sa pratique combine des travaux performatifs qui impliquent la présence physique de l’artiste ou la chorégraphie d’autres, ainsi que des installations dans des espaces de musées ou galeries dans lesquelles les éléments présents sont autant de repères marquant l’espace. Dans ses travaux récents, le développement d’une partition, d’un script, et sa manière de les inscrire dans un espace, un corps et un objet, sont devenus essentiels.

L’oeuvre de Yael Davids s’intéresse à l’émergence de soi comme résultat de la corrélation entre le collectif et l’expérience individuelle. Elle explore les règles, les normes et les symboles constitutifs de certains groupes sociaux pour les confronter à sa propre connaissance, son histoire personnelle, et à l’histoire collective. Puisant dans ces flux de références, l’artiste aborde la réalité sociale moins comme un état donné qu’un enchevêtrement complexe, construit en interaction avec les subjectivités individuelles.



Erik Bullot

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Erik Bullot

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Érik Bullot est cinéaste et théoricien. Auteur de nombreux films à mi-chemin du film d’artiste et du cinéma expérimental, il a publié récemment Renversements 2 (Paris, Paris Expérimental, 2013) et Sortir du cinéma. Histoire virtuelle des relations de l’art et du cinéma (Genève, Mamco, 2013). Sa filmographie compte plus d’une vingtaine de titres, dont le Jardin chinois (1999), l’Attraction universelle (2000), le Singe de la lumière (2002), Glossolalie (2005), Trois faces (2007), L’Alliance (2010), la Révolution de l’alphabet (2014). Son travail a été présenté dans de nombreux festivals et musées, notamment le Jeu de Paume (Paris), le Centre Georges Pompidou (Paris), la Biennale de l’image en mouvement (Genève), le CCCB (Barcelone), La Enana Marrón (Madrid), le New Museum (New York). Une monographie accompagnée d’un DVD lui a été consacrée en 2003 aux Éditions Léo Scheer. Membre du collectif pointligneplan, il a coordonné l’ouvrage pointligneplan, Cinéma et art contemporain (Paris, Léo Scheer, 2002). Il fut professeur invité à l’Université de New York à Buffalo (2009-2011) et au CIA (Centro de Investigaciones Artísticas) à Buenos Aires en 2013. Il enseigne le cinéma à l’École nationale supérieure d’art de Bourges et dirige le post-diplôme Document et art contemporainà l’École européenne supérieure de l’image (Poitiers-Angoulême).


Exposition du 13 mars au 16 mai 2015

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  • installation
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La distance entre V et W
exposition du 13 mars au 16 mai 2015

Pour sa première exposition personnelle en France, fruit de sa résidence entamée en octobre 2014, « La distance entre V et W », l'artiste d’origine israélienne et installée à Amsterdam Yael Davids a imaginé une installation qui se saisit de l'espace, convoquant tout à la fois la question des limites territoriales, ses implications, et la charge culturelle et identitaire que des objets véhiculent à travers leur déplacement temporel et géographique.

Comportant certains de ses matériaux de référence, verre et enduit d’argile, cette installation articule opacité et transparence à travers des éléments d'un vocabulaire plastique connu chez l'artiste (large surface noire, céramique vernaculaire, paroi transparente, etc.) lui permettant de symboliser une réflexion menée à la croisée d’expériences individuelles et collectives, d’enracinements et de migrations, de rapprochements et d’éloignements.

En déployant ce qu'on pourrait nommer une relation spécifique au lieu de la sculpture, l'installation de Davids devient paysage, vue d'ensemble d'un site. Cependant, confinant le visiteur dans un espace de déambulation où il est amené à éprouver un état de frontière, l’installation va jusqu’à quasi évacuer la possibilité d’un corps en son sein.

Autant ses précédentes installations fonctionnaient sur un principe d’interdépendance entre exposition et performance - la première documentant la seconde qui elle-même activait la première -, autant celle mise en place aux Laboratoires se concentre sur la dimension sculpturale de son travail.
Ici, l’artiste procède à un basculement horizontal : celui du large panneau noir qui compose certaines de ses installations récentes, telle Ending with glass à Bâle en 2011. Ce glissement du mur au sol entraîne une transformation du statut de la surface : de l’écran à l’étendue, du miroir au territoire.
Dans ses récents scripts de performances, Yael Davids situe son travail à l’aune d’une sculpture envisagée comme lieu et comme gravité. Le lieu de la sculpture, qui peut également s’avérer être le lieu de l’œuvre, tout comme le lieu de vie. La gravité, quant à elle, est poids, le poids des corps comme celui des objets et de l’histoire.

Dans ce lieu, l’introduction d’une structure de verre contenant des objets faisant référence à un univers domestique vient provoquer le paysage via la nature morte. Le coffre, réalisé en référence aux cabinets de curiosités et chambres de merveilles, ancêtres indirects des musées, s’avère un objet sculptural appréhendable de tous côtés, aussi bien que la réduction miniaturisée d’un espace plus vaste. Espace dans l’espace, ce contenant et vitrine d’objets fait naître des récits autant qu’il en constitue leur lieu d’agencement.

Par ailleurs, des dessins de nature morte ont été réalisés par Yael Davids à partir d’objets achetés par l’artiste à Aubervilliers pour l’exposition. Ils documentent les possibilités infinies de dispositions et de récits que ces objets produisent.

L’œuvre de Yael Davids a de singulier qu’elle parvient à nouer deux dimensions sculpturales a priori contradictoires : abstraction et narration. C’est en regard d’une histoire tant nationale qu’individuelle que Yael Davids construit un travail où la sculpture rejoint le corps et l’espace comme lieux d’accueil et d’activation des conflits qui la constituent en partie.


Un colloque « en forme de conte », abordant la notion de diaspora des objets, et programmé courant mai 2015, accompagne l'exposition.

« La distance de V à W »

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« La distance de V à W »


Si Yael Davids a choisi pour sa première exposition personnelle en France le titre aux accents perecquiens « La distance entre V et W », c’est d’abord parce qu’il renvoyait à deux figures traversées au début de ses recherches lors de sa résidence aux Laboratoires d’Aubervilliers. Simone Veil et Simone Weil, deux femmes au parcours d’écriture et d’engagements différents, l’une incarnant une politique pragmatique, l’autre métamorphose permanente, toutes deux ayant en commun des combats politiques, leur culture juive et l’expérience traumatique de la deuxième guerre mondiale. Ces premiers référents se sont bientôt effacés au profit du simple jeu linguistique capable de faire résonner la distance qui rapproche et sépare deux éléments de langage contigus mais distincts. Capable également de faire écho aux distances dont l’artiste elle-même a fait l’expérience et à celles qu’elle souhaitait adresser dans ce projet. De mère yéménite et de père hollandais, l’artiste a grandi dans un kibboutz, avant d’émigrer à Amsterdam, comme elle le raconte dans l’une de ses performances :

        « Nous l’appelions ‘le Tzuba arabe’ (…) Suba avait été un village palestinien attaqué par l’armée Palmach les 13 juillet 1948 ; 602 palestiniens ont été expulsés et un traité sioniste, du kibboutz Tzuba fut établi. J’ai grandi entre ces deux endroits, Suba et Tzuba». [1]  

On imagine un regard d’enfant façonné par les paysages en ruines alentours, ces « ghost landscape » [2], tels que les nomme Irit Rogoff. On suppose aussi une construction identitaire complexe, prise entre la volonté de départ et l’arrachement à une terre d’attachement, l’abandon d’un fonctionnement communautaire et la survivance d’un désir d’appartenance, le mélange des cultures et des langues, le soin mis à préserver en son sein la mémoire des autres et leurs histoires englouties, les questionnements vis à vis d’une implication politique dans un pays tiraillé entre sionisme et diaspora, l’entremêlement d’une responsabilité individuelle et collective dans un conflit interminable et meurtrier. La distance, l’artiste l’a donc éprouvée comme une notion tributaire de l’origine de chacun, qui s’accomplit moins dans des données objectives cartographiques que dans une géographie affective et relationnelle, dépendante notamment des moyens de locomotions et des check points à passer, mesurable en fonction des énergies et des émotions versées. [3] 

        « Revisitant l’idée d’un seul territoire comme un lieu qui abrite la notion de ‘maison’, j’aimerais explorer et défier un état d’enracinement, tout en offrant à voir un état mobile et flexible, l’un ayant besoin de l’autre pour exister. » [4]

« La distance entre V et W » sonne aussi comme la proposition d’un trajet à mener. Celui en l’occurrence que dessinent les œuvres au sol, qui ont été imaginées à partir notamment de deux ateliers collectifs proposés par l’artiste. L’espace d’exposition a en effet d’abord été son lieu de travail. Ayant suivi une formation en danse (Remscheid Academie), en plus d’un enseignement en arts visuels (Gerrit Rietveld Academie à Amsterdam et Pratt Institute à New York), s’intéressant à la kinesthésie et au langage somatique, étant convaincue de l’importance de développer des nouvelles pratiques qui puissent nourrir les fonctions mémorielles du corps et imprimer de nouveaux gestes, Yael Davids a dispensé des cours hebdomadaires de feldenkrais [5] à des habitantes d’Aubervilliers. L’espace dénudé des Laboratoires s’est alors lentement animé d’expériences sensibles partagées et d’une pluralité de cartographies corporelles.

Des corps, que l’artiste, performeuse et conteuse, considère comme des vaisseaux documentaires, situés à l’intersection des récits personnels et politiques, à la fois réceptacles et canaux de diffusion. Elle aborde d’ailleurs de manière similaire les sculptures qu’elle produit, à ceci près qu’elles engagent un mouvement d’abstraction et d’aspiration du langage. Comme elles le font des figures et des textes étudiés lors des ateliers de lecture collectifs menés pendant sa résidence : récits d’exil, d’espaces et d’identités d’Edouard Glissant, de Georges Perec, d’Hélène Cixous, correspondances de Walter Benjamin et Gershom Scholem, ou encore un texte de Judith Butler à propos des déplacements successifs et des revendications contradictoires d’ap/ex-propriation de l’œuvre de Kafka...

       « Grâce à leur qualité poreuse et absorbante, certains matériaux vont porter des histoires silencieuses et entrer en dialogue avec d’autres matériaux, utilisés pour leur capacité à accumuler des réflexions et à créer une prolifération d’images. » [6]

S’il est rare que Yael Davids conçoive une exposition sans envisager son activation lors d’une performance - et en ce sens l’installation aux Laboratoires est inédite - l’artiste poursuit sa dynamique « d’épuisement » des matériaux (dont elle éprouve les potentiels et les possibles combinaisons comme elle le ferait d’un vocabulaire, à chaque nouvel espace qu’elle investit) - avec une prédilection ici pour le verre et l’enduit d’argile – qui construisent une œuvre qui s’épanouit et « grandit sur les ruines d’elle-même » [7]. Au sol s’étend ainsi une surface noire composée d’une matière instable qui garde les empreintes de chaque micro évènements. L’enduit d’argile qui la compose en partie rend hommage aux maisons construites par les palestiniens et à leur savoir-faire (mis ironiquement au service de construction de toits pour leurs ennemis). Le noir profond qui le pigmente évoque lui les grands dessins de Richard Serra à la Kunsthalle de Bâle [8]. La brillance du pigment confère un caractère précieux et fragile à l’ensemble, en contraste avec l’espace brut des Laboratoires, et au-delà, de l’espace urbain composite et vétuste de la ville d’Aubervilliers. Enfin, la surface plate semble héritée des sculptures au sol de Carl André, que l’artiste cite volontiers dans ses performances et avec qui elle partage le même désir d’horizontalité dynamique :

      « Mon idée d’une sculpture est une route. C’est à dire une route qui ne se révèle pas en un point quelconque ni depuis un endroit particulier. Les routes apparaissent et disparaissent. Il nous faut soit voyager sur elles soit à côté. Mais nous n’avons pas de point de vue unique d’une route, si ce n’est un qui est en mouvement, qui se déplace avec elle. » [9]

Cependant et contrairement aux sculptures plates d’André, ici, on ne peut marcher dessus. Repoussé à ses bords, le visiteur est invité à en faire le tour. Charge à lui d’endosser cette chorégraphie contrainte que l’artiste semble ici lui avoir relayée. La circulation limitée rappelle la violence d’une histoire d’occupation des territoires, s’établit à la lisière d’un paysage inhabité, un sol charbonné inanimé, une ruine où les choses se dissolvent et exclue toute velléité de s’y aventurer. Mais ce trou noir est aussi l’installation d’un vide apte à alléger du fardeau de la connaissance et des expériences douloureuses en vue d’accueillir de nouvelles projections mentales.

Déposé à un angle de cette étendue monochrome, un coffre contient des objets domestiques, en verre et en terre cuite que l’artiste a chinés dans un magasin de seconde main des environs et déplacés jusqu’à son atelier pour s’atteler, avec discipline et formation de la main à la technique de la nature morte, à les représenter.  Cet écrin stratifié de l’intérieur, est inspiré du « meuble à aquarelle » de Gustave Moreau, artiste prolifique qui visait, comme en témoigne son musée parisien, à procurer une vision d’ensemble plutôt qu’à donner accès à des unités d’œuvres. Transparent, le contenant enferme autant qu’il dévoile ces dessins et leurs modèles, désormais amenés à cohabiter en toute proximité. Pris dans cette enveloppe diamantaire, ils sont rendus précieux. Le verre scintille de l’ambivalence de ses qualités, fragile et résistant, et des histoires auxquelles il renvoie. À celle d’une architecture moderniste transparente qui révèle et contrôle, capable de cumuler et de diffracter les points de vue (ce qui résonne d’autant plus fortement en regard de la culture juive qui entretient un rapport compliqué à la représentation). À celle, plus spécifique, de l’industrie de verre Oran Safety du kibboutz natal de l’artiste, qui, de spécialiste de la construction de pare-brises s’est transformé, entre la fin des années 80 et 2000, lors des première et deuxième intifadas, en producteur pour l’armée américaine de verres capables de résister au bazookas, grenades et autres roquettes.

       « Le verre est devenu une arme défensive, qui persiste d’un seul bloc et protège les gens par la production d’une séparation ». [10] 

Cette exposition est la chambre d’écho des recherches menées par l’artiste, son négatif. Elle contient sa part manquante, faite d’une histoire personnelle et collective particulière, d’expériences menées dans le lieu, de ressources théoriques explorées, désormais amalgamés dans l’argile, de pigment et de verre. Le processus de production qui s’y est déployé charge l’installation d’une mémoire latente. La place du spectateur, elle, est assignée au réglage de cette mise au point lente (comme on parlerait d’une photographie) qui aboutit à un paradoxe : l’exhibition d’une géographie qui ne peut le contenir.

       « Imagine ce mouvement descendant d’une racine – creusant, proliférant, éliminant ce qui vient sur son chemin. Je pense à cette racine là – devenant plurielle, se ramifiant, se fendant, s’ancrant, devenant une fondation, visant un seul corps. Une tige. Fixe et refusant de bouger. Je revisite l’idée que je me fais de la racine à l’aune du concept de réduction, violation, insistance et permanence. Emigrée. Dans une recherche permanente du pays contenant la source de moi-même. Comment pourrais-je imaginer devenir une à nouveau ? Fusionnée à nouveau dans les racines ? Comment pourrais-je imaginer ce mouvement de retour aux racines qui puisse être un mouvement sans destruction, sans violation ? » [11]


par Mathilde Villeneuve

[1] Yael Davids, Learning to Imitate in Absentia (script de performance).

[2] Irit Rogoff, Catalog, Former West, 18-24 mars 2013, Haus Der Kultur der Welt : http://www.hkw.de/media/en/texte/pdf/2013_2/programm_6/booklet_former_we...

[3] Écouter à ce sujet la conférence “Exhausted geography” d’Irit Rogoff, https://www.youtube.com/watch?v=PJOP9l0_nbI

[4] Notes de Yael Davids, 2014.

[5] La Méthode-Feldenkrais est une méthode qui a pour projet d'amener ses pratiquants à prendre conscience de leurs mouvements dans l’espace et dans leur environnement, à travers les sensations kinesthésiques qui y sont reliées

[6] Notes de l’artiste, novembre 2014.

[7] The Tongues She Speaks, Yael Davids dans une interview avec Adam Szymczyk, in Terms of Exhibition, Petra Reichensperger, Sternberg Press, 2013.

[8] Yael Davids découvre les grands dessins de Richard Serra lors d’une importante exposition de l’artiste à la Kunsthalle de Bâle, pièces qui la marquent profondément. Elle présentera par ailleurs à la Kunsthalle de Bâle en 2011, Ending with glass (installation et performance).

[9] Yael Davids qui cite Carl Andre dans sa performance Learning to Imitate in Absentia. Citation originale in Andre, C. Cuts: Texts 1959-2004. Ed. James Meyer, Cambridge, Mass., MIT Press, 2005.

[10] The Tongues She Speaks, Yael Davids, interview avec Adam Szymczyk, in Terms of Exhibition, Petra Reichensperger, Sternberg Press, 2013. 

[11] Yael Davids, Reading that Writes - a Physical Act, script d’une performance.


« La distance entre V et W »

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« La distance de V à W »


While Yael Davids has chosen for her first solo exhibition in France a title with Perecian overtones, the words “La distance entre V et W” primarily point to two figures the artist engaged with in the early stages of her research during her residency at the Laboratoires d’Aubervilliers. Simone Veil and Simone Weil — two women whose writing and forms of engagement shaped different trajectories, characterised by pragmatic politics for the former and constant metamorphosis for the latter, but whose lives had in common an involvement in political struggles, their Jewish culture, and the traumatic experience of World War II. These initial referents quickly faded away to wholly give over to the linguistic play that effectively highlights the distance that draws together and separates two contiguous yet discrete elements of language. A play that also echoes the distances the artist has herself experienced and those that she wished to address in this project.
As Yael Davids relays in one of her performances, she grew up on a kibbutz with her Yemenite mother and Dutch father, before emigrating to Amsterdam:

        “We called it ‘The Arab Tzuba’ … Suba had been a Palestinian village and attacked by the Palmach army on the 13th of July 1948, 602 Palestinians were expelled and a Zionist settlement, Kibbutz Tzuba, was established. I grew up somewhere between the two places, Suba and Tzuba” [1] 

One imagines a child’s gaze shaped by the surrounding landscapes of ruin, the “ghost landscapes” [2] that Irit Rogoff speaks of. One also imagines a complex identity construction, caught somewhere between a desire to leave and an attachment to the land (and the subsequent uprooting), between the abandonment of a communal way of life and the survival of a desire for belonging, the mix of cultures and languages, the care taken to preserve within herself the memory of others and their engulfed stories, interrogations regarding political engagement in a country torn between Zionism and diaspora, the entanglement of individual and collective responsibility in an endless and murderous conflict. Thus, for Yael Davids, this sense of distance is shaped by one’s roots, emerging less through objective cartographic data than through an affective and relational geography, determined, among other things, by the means of mobility and the checkpoints one must pass through, and measured through the energies and emotions spent. [3]

        “Revisiting the idea of a single territory as a place that carries the notion of home, I would like to explore and challenge the state of anchoring, offering to see the state as a mobile flexible state, one that needs the others to exist.” [4]

“La distance entre V et W” also rings like an invitation on a journey, the trajectory set out by the floor exhibits, which were developed in part through two group workshops run by the artist. Indeed, the exhibition space was firstly the artist’s work space. Informed by her background in dance training (Remscheid Academie) and the visual arts (Gerrit Rietveld Academie in Amsterdam and the Pratt Institute in New York), her interest in kinaesthesis and somatic language and her belief in the importance of developing new practices able to nurture the body’s memory functions and imprint new gestures, Yael Davids offered weekly Feldenkrais [5] classes to local residents of Aubervilliers. The bare space of the Laboratoires gradually became enlivened by these shared sensory experiences and the multiplicity of corporeal maps.

Bodies that Yael Davids, a performance artist and storyteller, apprehends as documentary vessels located at the intersection between personal and political narratives, at once receptacles and diffusing channels. The artist approaches the sculptures she produces in a similar manner in that they also involve a movement of abstraction and absorption of language. Just as they abstract and absorb the figures and texts studied during the reading workshops run during her residency: narratives of exile, of spaces and identities by Edouard Glissant, Georges Perec and Hélène Cixous, the correspondence of Walter Benjamin and Gershom Scholem, and a text by Judith Butler on the constant dislocations and contradictory claims of ap/ex-propriation of Kafka’s oeuvre…

        “Thanks to their porous and absorbent quality, certain materials will carry silent stories and enter into dialogue with other materials, which are used due to their capacity to accumulate reflections and create a proliferation of images.”[6]

Although Yael Davids’ exhibitions typically include an activation through performance — and in this regard the Laboratoires installation is unique — the artist nonetheless pursues the same dynamic of “exhausting” materials (experiencing their potential and possible combinations as she would with a vocabulary, with each new space she occupies). In this exhibition, she privileges glass and clay plaster, developing a work that shoots up and “grows atop the ruins of itself” [7]. The ground is thus a black expanse composed of an unstable substance that absorbs and retains the print of each micro-event. The clay plaster used to create the surface is in part a homage to the houses built by Palestinians, and to their know-how (ironically forced into the service of building shelters for their enemies). As for the deep black pigment, it evokes Richard Serra’s large-scale drawings exhibited at the Kunsthalle Basel [8]. The glossy pigment gives the whole a precious and fragile aspect, contrasting with the rawness of the Laboratoires space and, further, with the heterogeneous, run-down surroundings of the town of Aubervilliers. Finally, the flatness of surface seems to be inspired by Carl André’s floor sculptures, whom the artist willingly cites in her performances and with whom she shares a desire for dynamic horizontality:

        “My idea of a piece of sculpture is a road. That is, a road doesn’t reveal itself at any particular point or from any particular point. Roads appear and disappear. We either have to travel on them or beside them. But we don’t have a single point of view for a road at all, except a moving one, moving along it.”[9]

Yet in contrast to André’s flat sculptures, one cannot walk on these works. Pushed to their edges, we are invited, rather, to walk around them, taking on the constricted choreography the artist seems to have relayed. This limited circulation points to the violent history of land occupation, edging around an uninhabited landscape, a lifeless, burnt-out ground, a ruin were things dissolve, thus banishing any desire to wander there. But this black hole also establishes an emptiness that can reduce the burden of knowledge and painful experiences to thus foster new mental projections.

Set at an angle from this monochrome expanse lies a case containing glass and earthenware domestic objects that the artist picked up in a local second-hand shop and took to her studio to then set about displaying them in a disciplined approach informed by the techniques of still life. This transparent box and its interior stratification are inspired by Gustave Moreau’s ‘watercolour display cases’ — a prolific artist who, as his museum in Paris testifies, aimed to present a view of the whole rather than give access to single elements of work. The transparent receptacle both encloses and reveals the drawings and their models, now brought to coexist in close proximity with one another. Placed in this diamond-like casing, they take on a precious quality.  The glass shimmers with the ambivalence of its qualities — fragility and resistance — and the histories it evokes. That of transparent modernist architecture, which both reveals and controls and can accumulate and diffract perspectives (all the more resonant with regards to Jewish culture and its complex relationship to representation). And then the more specific history of Oran Safety, the glass manufacturer on the kibbutz the artist grew up on, which started off as a specialist windscreen manufacturer to then shift — from the late 1980s to 2000, with the first and second intifadas — to making glass able to resist Bazookas, grenades and other types of rockets.

        “Glass became a defensive weapon, kept in one piece to keep people safe through separation.”[10]

The exhibition is the echo chamber of Yael Davids’ artistic research, its negative. It contains its missing part, made up of a particular personal and collective history, of the experiences conducted in the site, and the theoretical resources explored — now mixed together in the clay, pigment and glass powder. This process of production loads the installation with latent memory. Here, the place of the spectator is that of operating this slow adjustment of focus (as one would say of a photograph), which ultimately winds up in a paradox: the exposure of a geography that cannot contain us.

“Imagine this downward movement of a root — digging, expanding, eliminating that which comes its way. I think of this determined root — turning into plural, branching, cleaving, anchoring, becoming a foundation, shooting a single body. A stem. Settled and refusing to move. I reconsider my idea of the root — to a concept of reduction, violation , insistence and permanence. Migrated. In a constant search for the land that holds this source of myself. How could I imagine that I could become one again? Infused back into the roots? How could I imagine this movement back into the roots as a movement without destruction, without violation?” [11]


par Mathilde Villeneuve

[1] Yael Davids, Learning to Imitate in Absentia (performance script).

[2] Irit Rogoff, Catalog, Former West, 18-24 mars 2013, Haus Der Kultur der Welt : http://www.hkw.de/media/en/texte/pdf/2013_2/programm_6/booklet_former_we...

[3] See Irit Rogoff's lecture “Exhausted geography”, https://www.youtube.com/watch?v=PJOP9l0_nbI

[4] Yael Davids' Notes, 2014.

[5] The Feldenkrais Method offers ways of developing awarenss of one’s movements in space and one’s surroundings through the kinaesthetic sensations linked to them.

[6] Yael Davids’ notes, November 2014.

[7] The Tongues She Speaks, Yael Davids in an interview with Adam Szymczyk, in Terms of Exhibition, Petra Reichensperger, Sternberg Press, 2013.

[8] Yael Davids discovered Richard Serra’s large-scale drawings at his major exhibition at the Kunsthalle Basel. She was profoundly affected by these works. She went on to present Ending with Glass (installation and performance) at the Kunsthalle Basel in 2011.

[9] Yael Davids cites Carl André in her performance Learning to Imitate in Absentia. Original quote in André C. Cuts : Texts 1959-2004, Ed. James Meyer, Cambridge, Mass. : MIT Press, 2005.

[10] The Tongues She Speaks, Yael Davids in an interview with Adam Szymczyk, in Terms of Exhibition, Petra Reichensperger, Sternberg Press, 2013.

[11] Yael Davids, Reading that Writes - a Physical Act (performance script).


Yael Davids

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Yael Davids

Type d’artiste: 

Author


Yael Davids, Israeli born, works and lives in Amsterdam. She studied Fine Arts at the Gerrit Rietveld Academie (Amsterdam), sculpture at the Pratt Institute (New York) and Choreography and Dance Pedagogy at the Remscheid Academie (Remscheid).

Her practice combines a mixture of performative works that involve the artist’s physical presence or else, the choreography of others alongside gallery-based installations, in which the elements appear to provide coordinates for the space. In her recent works, the development of a script and how to inscribe this onto space and body and object, has come to play an essential part.

Davids oeuvre is concerned with the emergence of the self as a result of the correlation between the collective and the individual experience. She explores the rules, norms and symbols found in particular social groups to confront them with her self-knowledge, biography and with a more general history. By taking on these in-flux sources of references, Davids investigates social reality not as a given, but instead a complex fabric constructed in a feedback with individuals subjectivities.



Team

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Board
Xavier Le Roy (President)
Bertrand Salanon
Corinne Diserens
Jennifer Lacey
Jean-Luc Moulène
Jean-Pierre Rehm

Codirection
Alexandra Baudelot
Dora García
Mathilde Villeneuve

Staff
Ingrid Amaro (La Semeuse coordination)
Florine Ceglia (administration)
Eve Chabanon
(publishing)
Clara Gensburger (projects coordination)
Pauline Hurel (public relations)
Marie-Laure Lapeyrère (communication and press relations)
Ariane Leblanc (communication assistant)
Sorana Munteanu (administration assistant)
Eric Rouquette (accountant)
Margot Salles (documentation)
Amaury Seval (technique)

And
Kate Davis (website translation)
collectif g-u-i (graphism, webdesign)
Philaug (information systems)


Équipe

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Conseil d’administration
Xavier Le Roy 
Corinne Diserens
Jennifer Lacey
Jean-Luc Moulène
Jean-Pierre Rehm
Bertrand Salanon

Direction collégiale
Alexandra Baudelot
Dora García
Mathilde Villeneuve

Équipe permanente
Ingrid Amaro (coordination La Semeuse)
Florine Ceglia (administration)
Eve Chabanon
(éditions)
Clara Gensburger (coordination des projets et éditions)
Pauline Hurel (accueil et relations avec les publics)
Marie-Laure Lapeyrère (communication et relations presse)
Ariane Leblanc (assistante communication et mécénat)
Sorana Munteanu (attachée à l'administration)
Eric Rouquette (comptabilité)
Margot Salles (documentation)
Amaury Seval (technique)

Et aussi
Kate Davis (traduction du site)
collectif g-u-i (graphisme, webdesign)
Philaug (maintenance informatique)

Silvia Maglioni & Graeme Thomson

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Silvia Maglioni & Graeme Thomson

Type d’artiste: 

Author

Silvia Maglioni & Graeme Thomson (vivent et travaillent à Paris) sont des cinéastes dont le travail interroge les formes et fictions potentielles émergeant des ruines de l’image cinématographique et dont la pratique comprend également la création d’installations son et vidéo, d’expositions, de performances, eventworks, émissions de radio expérimentale, tube-tracts et livres. Leur premier long métrage, Facs of Life (2009) est nourri d’une série de rencontres avec d’anciens élèves de Gilles Deleuze et les archives vidéo où ils apparaissent. Entre documentaire, fiction et essai, le film explore des différents aspects de l’héritage philosophique de Deleuze. In Search of UIQ (2013) révèle le scénario de science-fiction disparu de Félix Guattari, Un Amour d’UIQ, par le biais d’une suite de fabulations et reconstitutions spectrales, en relation avec d’importantes transformations sociales et politiques de notre époque, depuis les luttes Autonomistes jusqu’à l’encodage digital de la vie.
Depuis 2005, la production des artistes (et, de temps en temps, leur résistance à la production) émane de Terminal Beach, une zone constructiviste pour la réflexion critique et l’expérimentation des nouvelles configurations d’image, son, texte et politique, en interrogeant les modalités du regard et de l’écoute – parfois en collaboration avec d’autres collectifs. Leur travail a été présenté dans de nombreux festivals internationaux et dans plusieurs centres d’art, récemment: FID-Marseille, Bafici, Jihlava, Anthology Film Archives, Tate Britain, Serralves, Centre Pompidou, MACBA, Ludwig Museum, REDCAT, Castello di Rivoli.

Symposium-performance

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f(r)ictions diplomatiques #1: Au-delà de l'Effet-Magiciens


Au delà de l’effet-Magiciens

7-8 février 2015 de 11h à 18h
Les Laboratoires d’Aubervilliers

Une géographie globale de l’art s’est imposée depuis la fin des années 1980. Une scénographie diplomatique imagine durant trois jours, d’autres géographies possibles de l’art.

Comme on le sait, depuis la fin des années 1980, une nouvelle géographie internationale de l’art s’est imposée, un tournant global qui aura pu être décrit par le théoricien de l’art Joaquin Barriendos comme l’Effet-Magiciens[1]. Souvent narré comme un décentrement du canon – autrefois principalement européano-américain – ainsi que des politiques culturelles qui l’accompagnent, celui-ci semble plutôt réengager un nouveau langage géopolitique universel: « l’art mondial comme lingua franca postcoloniale offerte au monde, par l’Occident »[2]. Ce régime géoesthétique repose ainsi sur un profond paradoxe, perpétuant des asymétries et des hiérarchies au cœur de ce nouveau récit mondialisé : une fragmentation des récits, une ouverture aux études postcoloniales, aux savoirs situés et aux épistémologies du Sud d’un côté, contre un retour du méta-récit autant que du musée global (comme nouveau musée universel) et le déploiement de la world art history comme méthodologie, de l’autre.

L’art global a échoué, alors, quels autres régimes géoesthétiques inventer et déployer dans les années à venir ? Quels gestes instituants serait-il nécessaire de produire pour provoquer un tel virage ? Enfin, quels musées et institutions ré-imaginer?

Sous la forme d’une scénographie diplomatique, ce symposium s’ouvre par un espace de déposition puis engage des propositions qui seront négociées diplomatiquement où nous nous proposerons d’inventer collectivement, d’autres régimes géoesthétiques contemporains, tout en prenant acte de la puissance de la fiction et des expériences de pensée à produire des scripts, des scénarios qui agissent comme des opérateurs performatifs sur les possibles.


Avec Kader Attia (artiste), Joaquin Barriendos (théoricien de l’art), Romain Bertrand (historien), Tania Bruguera* (artiste), Fernando Bryce (artiste), Gustavo Buntinx (historien de l’art, curateur), Pascale Casanova (théoricienne de la littérature), Eder Castillo (artiste), Emmanuelle Chérel (historienne de l’art), Cesar Cornejo (artiste), Jérôme David (théoricien de la littérature), Charles Esche (curateur, théoricien, directeur du Van Abbemuseum), Olivier Hadouchi (historien du cinéma), Kiluanji Kia Henda* (artiste), Maria Hlavajova (directrice artistique BAK), Eduardo Jorge (écrivain, essayiste), Mathieu Kleyebe Abonnenc (artiste), Kapwani Kiwanga (artiste), Pedro Lasch (artiste), Olivier Marboeuf (directeur artistique de Khiasma), Vincent Message (essayiste, romancier), Yves Mintoogue (doctorant en sciences politiques), Jean-Claude Moineau* (théoricien de l’art), Julia Morandeira Arrizabalaga (commissaire d’exposition), Malick N’Diaye (historien de l’art), Vincent Normand (auteur, commissaire d’expositions), Olu Oguibe (artiste), John Peffer (théoricien de l’art), Estefanía Peñafiel Loaiza (artiste), Lia Perjovschi (artiste), Revue Afrikadaa (Pascale Obolo, Louisa Babari), David Ruffel (directeur artistique), Lionel Ruffel (théoricien de la littérature), Elena Sorokina (commissaire d’exposition), Ida Soulard (historienne de l’art), Boaventura de Sousa Santos (sociologue), Camille de Toledo (écrivain, artiste), Susana Torres (artiste), Françoise Vergès (politologue), Nicolas Vieillescazes (philosophe).


Commissariat et direction: Aliocha Imhoff & Kantuta Quiros.
Avec le soutien de la Mairie de Paris, de la Région Ile-de-France, de la Fondation Calouste Gulbenkian – Délégation en France, les Laboratoires d’Aubervilliers. Une publication suivra également, soutenue par l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes/l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Nantes Métropole et les Presses Universitaires de Rennes.
Production: le peuple qui manque
Coordination: Isabelle Montin, Helena Hattmannsdorfer, Viola Giulia Milocco, Riccardo Ferrante
Scénographie: Adel Cersaque

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le peuple qui manque est une plateforme curatoriale dirigée par Aliocha Imhoff & Kantuta Quiros, créée en 2005 à Paris, œuvrant à l’intersection entre art contemporain et recherche, à l’initiative d’expositions, projets curatoriaux, symposiums internationaux, festivals, publications. Quelques manifestations récentes: Realm of Reverberation - Chen Chieh-jen (exposition, 2014); Le procès d’une polémique. Jan Karski: histoire et fiction (HEAD Genève, 2014); A Thousand Years of Nonlinear History (Centre Pompidou, Institut Culturel du Mexique, ENSBA Paris, 2013); Fais un effort pour te souvenir. Ou, à défaut, invente. (exposition, Bétonsalon, 2013); L’artiste en ethnographe (co-curaté avec Morad Montazami, Musée du Quai Branly et Centre Pompidou, 2012); Im/mune (exposition co-curatée avec Beatriz Preciado, Ecole d’Art de Bourges et Transpalette, 2011 );  Que faire? art/film/politique (Centre Pompidou, Palais de Tokyo, Beaux-Arts de Paris, Espace Khiasma, Laboratoires d’Aubervilliers, Maison Pop’, Cinema le Méliès, 2010), etc.

http://www.lepeuplequimanque.org/


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Le 6 février, le colloque-performance aura lieu à la Fondation Calouste Gulbenkian – Délégation en France
Les 7 février et 8 février, le symposium se déroulera aux Laboratoires d’Aubervilliers

 

Mots-clés: 

Programmation satellite

* sous réserve

[1] Présentée en 1989 au Centre Georges Pompidou, Les Magiciens de la Terre, s’est pensée comme la première exposition planétaire. Exposition monumentale et polémique, elle proposait de réintégrer dans l’espace de l’art ces géographies artistiques longtemps oubliées, tenues à la lisière du canon de l’histoire de l’art et de ses récits officiels. Son commissaire, Jean-Hubert Martin, y convoquait une centaine d’artistes et « non-artistes » issus de scènes asiatiques, africaines, latino-américaines. Postulant la déroute des histoires de l’art occidentales pour se saisir de ces scènes, Martin faisait appel aux discours ethnographiques et anthropologiques comme outils heuristiques, qui se substituaient tout autant aux histoires de l’art endogènes. Les paradoxes de cette exposition innervent aujourd’hui encore une large part – que ce soit pour s’inscrire dans sa filiation ou opérer aujourd’hui encore un démontage critique de ses présupposés – des réflexions qui sous-tendent les débats muséologiques sur l’internationalisation de l’art. Selon Joaquin Barriendos, le « globocentrisme esthétique » résulterait de l’ « effet-Magiciens », avec pour supposition que le tournant spatial de l’art global a commencé à Paris, en 1989, comme conséquence du révisionnisme cosmo-éthique initié par l’emblématique exposition Les Magiciens de la Terre.

[2] Joaquín Barriendos, Un cosmopolitisme esthétique? De l’« effet Magiciens » et d’autres antinomies de l’hospitalité artistique globale. , in Kantuta Quiros & Aliocha Imhoff (dir.), Géoesthétique, B42, 2014

EXPOSITION "DEGRE 48" au Cneai / HORS-LES-MURS

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29. Novembre 2014 - 10:00» 26. Avril 2015 - 18:00
Du 29 novembre 2014 au 26 avril 2015




Entre avril 2013 et février 2014, Daniel Foucard a proposé aux Laboratoires d’Aubervilliers dix soirées manifestes s'inscrivant dans le cadre de sa résidence d'écriture aux Laboratoires, intitulée Degré 48. L’atelier g.u.i. a été invité à produire les «imprimés» des 21 manifestes écrits et performés tout au long de ces dix soirées par les artistes, écrivains, poètes, plasticiens, commissaires d'expos et éditeurs participant à Degré 48
L'exposition Degré 48 au Cneai présente les dispositifs éditoriaux de documentation et d’impression imaginés par l’atelier g.u.i, remettant ainsi en jeu les techniques et les modes d’assemblages des captations vidéos et photos des soirées, les fichiers sources des artistes, les manifestes écrits, ainsi que la documentation produite par le public.

Une exposition produite par les Laboratoires d'Aubervilliers, le CNEAI et BANC! Scénographie et mise en lumière en collaboration avec Tom Huet.

Avec: A Constructed World, L'Agence du doute, Bertrand Belin, Stéphane Bérard, Olivier Bosson, Mehdi Brit, Sonia Chiambretto, Magdalena Chowaniec, Paolo Codeluppi, Patrick Corillon, Antoine Dufeu, David Guez, Frédéric Héritier, Véronique Hubert, Dominiq Jenvrey, Laure Limongi, Valérie Oberleithner, Fabrice Reymond, Morgane Rousseau, Ludovic Sauvage, Benjamin Seror, Kristina Solomoukha, Naia Sore, Yoann Thommerel, Nicolas Tilly, Valentina Traïanova, Fabien Vallos.

g.u.i. est un collectif de designers pour l'édition, l'image et l'intéraction créé en 2006 qui rassemble aujourd'hui Bachir Soussi Chiadmi, Nicolas Couturier, Julien Gargot, Angeline Ostinelli, Benoît Verjat et Sarah Garcin. Les membres de g.u.i. collaborent avec des institutions culturelles et publiques, des groupes de travail et des artistes, principalement dans les champs de l'art contemporain et de la performance. Ses recherches concernent l'organisation, la mise en forme et l'accès à des collections de documents, la conception d'outils pour l'édition et la documentation collective, amenant l’atelier à développer une plateforme dédiée à ce sujet, espace de recherche et maison d’édition, appelé BANC!

CNEAI
Ile des Impressionnistes,
2 Rue du Bac,
78400 Chatou
Voir: http://www.cneai.com/


Photo: Amaury Seval (DR)

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EXHIBITION "DEGRE 48" at the Cneai / OUTDOORS

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29. Novembre 2014 - 10:00» 26. Avril 2015 - 18:00
From November 29, 2014 to April 26, 2015




Between April 2013 and February 2014, Daniel Foucard held 10 manifesto evenings at les Laboratoires as part of his writing residence there, entitled Degré 48. The collective g.u.i. was invited to produce the “prints” of the 21 manifestos written and performed over the course of these 10 evenings by artists writers, poets, exhibition curators and editors who took part in Degré 48… The Degré 48 exhibition at Cneai presents editorial documentation and printing tools dreamed up by the collective g.u.i., bringing back techniques and ways of assembling video- and photo-captured images of the evenings, artists’ source files, written manifestos as well as documents produced by the audience.

An exhibition produced by Les Laboratoires d’Aubervilliers, the Cneai and BANC! Stage design and lighting were a collaboration with Tom Huet.

With: A Constructed World, L'Agence du doute, Bertrand Belin, Stéphane Bérard, Olivier Bosson, Mehdi Brit, Sonia Chiambretto, Magdalena Chowaniec, Paolo Codeluppi, Patrick Corillon, Antoine Dufeu, David Guez, Frédéric Héritier, Véronique Hubert, Dominiq Jenvrey, Laure Limongi, Valérie Oberleithner, Fabrice Reymond, Morgane Rousseau, Ludovic Sauvage, Benjamin Seror, Kristina Solomoukha, Naia Sore, Yoann Thommerel, Nicolas Tilly, Valentina Traïanova, Fabien Vallos.

g.u.i. is a publishing, image and interactive collective of designers created in 2006 which today includes Bachir Soussi Chiadmi, Nicolas Couturier, Julien Gargot, Angeline Ostinelli, Benoît Verjat and Sarah Garcin. The members of g.u.i. collaborate with public and cultural institutions, working groups and artists, principally in the fields of contemporary and performance art. Its research concerns the organisation, formatting and access to collections of documents and designing tools for publishing and collective documentation, which has led the workshop to develop a platform dedicated to this subject, a research space and publishing house, called BANC!

CNEAI
Ile des Impressionnistes,
2 Rue du Bac,
78400 Chatou
See: http://www.cneai.com/


Photo: Ouidade Soussi Chiadmi (DR)

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Exhibition from March 13 to May 16, 2015

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  • installation
  • performance


For her first solo exhibition in France, marking the culmination of her residency at the Laboratoires d’Aubervilliers which began in October 2014, Amsterdam-based Israeli artist Yael Davids has designed an installation that takes hold of space, exploring the notions of territorial limits, their implications, and the cultural meanings objects convey across their temporal and geographic shifts and displacements.

The installation contains some of Yael David’s chosen materials, glass and clay plaster, articulating opacity and transparency through elements pertaining to a visual vocabulary familiar to the artist (large black surfaces, vernacular ceramic, transparent walls, etc.), enabling her to symbolise a reflection she conducts at the intersection of individual and collective experiences, of rootedness and migration, and of the movements of proximity and distance.

By deploying what could be described as a specific relation to the site of sculpture, Davids’ installation becomes a landscape, the panoramic view of a place. Yet the installation confines the visitor’s movements in a space that produces a boundary/border experience, to the point of almost entirely excluding the possibility of a body in its midst.

While her previous installations were grounded in a notion of interdependence between exhibition and performance — where the exhibition documents the performance, and the performance activates the exhibition — the Laboratoires exhibition focuses on the sculptural dimension. The artist has operated a horizontal shift — that of the large black screen featuring in some of her recent installations, such as Ending with glass in Basel in 2011. This slippage from wall to floor transforms the status of the surface, going from screen to expanse, from mirror to territory.

In her recent performance scripts, Yael Davids locate her work in relation to a form of sculpture apprehended as place and as gravity. The place of sculpture, which could also be both the place of the artwork and the place of dwelling. And gravity as weight, the weight of bodies, objects and history.

Placing in this site a glass structure containing objects that refer to a domestic context provokes the landscape through the still life. The case, a reference to the wonder-rooms that are the indirect ancestors of the museum, is at once a sculptural object that can be approached from all sides and the miniature reduction of a much larger space. A space within a space, this container and showcase of objects is both a generator of narratives and the ‘hub’ of these multiple stories.

Moreover, still lifes are drawn by Yael Davids which reproduces objects bought by the artist at Aubervilliers. They document the infinite possibilities of display and stories these objects tell.

Yael Davids’ work has a singular way of linking two seemingly contradictory sculptural dimensions: abstraction and narration. By engaging with a history that is both national (that of a burgeoning nation)¬ and individual (her own life story), Yael Davids constructs a project in which sculpture joins the body and space as a site of reception and activation of the conflicts that have in part shaped her life.



LECTURE CYCLE

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Comment faire d'une classe une oeuvre d'art ?


Cylce of public lectures on art and pedagogy, "Comment faire d'une classe une oeuvre d'art" are the heart of a course designed by Marie Preston and Gwenola Wagon, artists, researchers and teacher in a master's program at the University Paris 8.

By hosting and co-building seminars, Les Laboratoires d'Aubervilliers share issues that are dear to them and that they practice regulary in particular through the establishment of "le labo des labos": workshops on how art and pedagogy interact today.

As Claire Bishop described in her article, "How to live a classroom as a work of art?", certain artists claims the creation of teaching situations we works. This "educational turn" of the art, described by Irit Rogoff, isinscribed in the continuity of the alternative and experimental pedagogy developed by artists in the 70s. They, themselves were the inheritors of the first educators such Johann Heinrich Pestalozzi and Friedrich Froebel and later, in United States, John Dewey or, in France, Célestin Freinet.
During this cycle of lectures, Marie Preston, Gwenola Wagon and their students will think about the relationship between art and pedagogy as experimental form of transmission, through the analysis of collaborative practices in educational contexts or as educational creators contexts: "Based on past and current practical experience, we search methods and try to implement, in turn, effectively and collectively "a class as a work of art"."


With Anna Colin (director of the Open School East, school between art and pedagogy in London) et Ida Soulard (historian of art, Paris), then Liliane Terrier and Jean-Louis Boissier (Course/performance around the University of Vincennes), Michel Aphesbero (artist et teatcher), Renaud Huberlant (founder of the studio Salut Public), Virginie Bobin, (art critic and curator).




This cycle is programmed at Les Laboratoires d'Aubervilliers on

16th February 2015, Ida Soulard about the textil studio at the Bauhaus in Dessau as an experimental site

16th March 2015, Anna Colin about the Open School East

 

Others dates programmed
23rd February 2015, Michel Aphesbero at Université Paris 8
2nd Marc 2015, Virginie Bobin at Bétonsalon
9th Marc 2015, Renaud Huberlant at Université Paris 8
30th March 2015, Liliane Terrier and Jean-Louis Boissier

 

Mots-clés: 

Programmation satellite

Open School East

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16. Mars 2015 - 15:30» 17:30
Lundi 16 mars 2015, 15h30-17h30


Une conférence proposée par Anna Colin

Anna Colin vient présenter les activités et enjeux d’Open School East, un espace dédié au développement artistique et à l’échange de savoirs et savoir-faire entre différentes communautés – artistiques, locales et autres. L’association Open School East a été co-fondée par Anna Colin en 2013 et occupe présentement une ancienne bibliothèque et maison de quartier située à De Beauvoir Town, dans l’est londonien. Open School East est un espace pédagogique et socio-culturel informel, régi selon des principes d’expérimentation, de coopération et d’autogestion. Au travers du ‘study programme’ et de sa programmation publique, Open School East travaille de près avec un groupe de 14 artistes associés pendant 10 mois, et avec de multiples praticiens et publics locaux et moins locaux sur la durée.






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Anna Colin travaille comme commissaire et critique à Londres. Elle est co-directrice d’Open School East, co-curatrice de British Art Show 8 (2015-17) avec Lydia Yee, et curatrice associée à la Fondation Galeries Lafayette à Paris.



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Open School East

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16. Mars 2015 - 15:30» 17:30
Monday, March 16, 2015, 3:30 pm - 5:30 pm


A lecture proposed by Anna Colin

Anna Colin will be presenting the activities and objectives of Open School East, a space devoted to artistic development and to fostering the exchange of knowledge and know-how between the artistic community, local residents and the broader public. Open School East was co-founded by Anna Colin in 2013 and is currently located in a former library and community centre in De Beauvoir Town, East London. Open School East is an informal space for artistic learning and community and cultural projects, run according to principles of experimentation, cooperation and self-direction. Through its study programme and its public programme, Open School East works closely with 14 artists over a 10-month period, and, over the longer term, with a host of practitioners, local audiences and publics from further afield.








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Anna Colin works in London as a curator and critic. She is co-founder of Open School East, co-curator of the British Art Show 8 (2015-2017) with Lydia Yee, and associate curator at the Fondation Galeries Lafayette in Paris.




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Mobilisation

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L'appel d'Aubervilliers


Suite à l'annonce du projet de loi de finance 2015 et de la baisse significative des dotations de l’État aux collectivités - qui frappe plus fort les communes les plus pauvres - les Laboratoires s'associent à la Ville d'Aubervilliers et aux acteurs culturels de la ville pour lancer "L'appel d’Aubervilliers":

De l’argent pour la vie pas pour la finance!

"Professionnels, militants associatifs, habitants, élus, comme usagers et artisans de la ville, d’Aubervilliers, tous, nous nous félicitons de pouvoir étudier, exercer notre métier et vivre nos passions dans cette commune populaire où tant d’expériences sont nées, se sont développées obstinément jusqu’à former un tissu social et culturel vital pour tous et qui donne envie d’autres odyssées.

Parce qu’il est devenu indispensable à la vie des populations frappées, ici plus qu’ailleurs, par les politiques d’austérité, la précarité, le chômage, ce tissu et ses réseaux, patiemment conquis au fil d’un demi siècle de luttes, ne doivent pas se voir mis en danger par les mesures de réduction de crédits des ministères et par l’amputation des dotations financières de l’Etat revenant aux collectivités territoriales.

Or, contrairement aux impasses mortifères des politiques de rigueur, l’argent public, notre argent, contribue pour une large part aux investissements et au fonctionnement du pays dans les domaines de la culture, de la santé, du sport, de l’école, de la solidarité, de l’environnement, de l’économie sociale et solidaire, de l’éducation populaire…

Partout où elles sont à l'œuvre ces politiques dites d'austérité conduisent à des catastrophes humaines et sociales. Ici, tout le lien social déjà malmené, fragilisé, serait menacé durablement. De l'argent, il en faut pour la vie, pas pour la finance, car c'est la rigueur qui tue.

Face à cette situation d’urgence, nous réagissons en nous mobilisant solidairement afin qu’on nous entende ici à Aubervilliers, comme au Département ou à la Région et jusqu’au plus haut niveau de l’Etat. Cette politique de régression des moyens pour toute la vie sociale est absurde et dangereuse pour la République.

Avant qu’il ne soit trop tard, il faut en changer! Nous appelons aux rassemblements les plus larges pour voir respecter notre dignité et notre intelligence, développer des combats porteurs d’espoir et d’émancipation.

"Il est grand temps de rallumer les étoiles", Apollinaire.
"Signe ce que tu éclaires, non ce que tu assombris", René Char

Notre première action aura lieu le jeudi 22 janvier à midi, Place de la Mairie!"

Signez la pétition

Signataires (en cours) :
Association AVEC – Café Culturel / Aubercail / Le CAPA – Centre d’Arts Plastiques d’Aubervilliers / Le cinéma Le Studio / La Commune – Centre Dramatique National / Compagnie Etincelle / Les Souffleurs Commandos Poétiques – Association Changements de Décors / Zingaro / Pascal Beaudet – Maire d’Aubervilliers / La direction du CRR 93 – Conservatoire à Rayonnement Régional Aubervilliers La Courneuve / La direction des Laboratoires d’Aubervilliers / Sud Education Aubervilliers / Magali Cheret – Adjointe au Maire en charge des politiques culturelles / André Falcucci Président de l’association Villes et Musiques du Mondes / Kamel Dafri Directeur de l’association Villes et Musiques du Monde / Les Frères Poussières / La Villa Mais d’Ici

De la conférence comme film

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De la conférence comme film
Érik Bullot


Au fil des métamorphoses du cinéma à l’ère numérique, la séance de projection en salle, après avoir coïncidé depuis son institutionnalisation avec la définition même du septième art dans l’esprit du public, connaît de multiples renversements qui attestent une perte de stabilité ontologique du médium. Le rituel de la séance représente-t-il une simple parenthèse dans l’histoire du cinéma ? Non seulement le film s’« expose » désormais dans les musées, les galeries ou les centres d’art, s’affiche sur l’écran des ordinateurs et des téléphones mobiles, se dissémine dans l’espace social, mais la présentation des films emprunte souvent de nouveaux avatars, pédagogiques ou bonimentés, proches de la performance didactique, de la conférence, de l’impromptu poétique ou de la séance de ciné-club. Il est frappant d’observer la récurrence dans le champ de l’art contemporain de la « conférence performative » en relation avec le cinéma. Sous des formes multiples, hybrides, ambivalentes, ces conférences semblent renouer avec le cinéma des premiers temps tout en accusant une dimension souvent conceptuelle (la conférence se substitue au film lui-même). Pensons aux séances Alchimicinéma au cours desquelles sont présentés par Jean-Marc Chapoulie, à la fois projectionniste et bonimenteur, des films trouvés, amateurs, familiaux, industriels, scientifiques ou pédagogiques, selon des formats et des durées très divers, au film de Christelle Lheureux L’Expérience préhistorique (2003-2008), remake des Sœurs de Gion (Mizoguchi, 1936), dont chaque projection donne lieu à des exercices de boniment en hommage à la figure du benshi [1]. Citons les conférences, intitulées Plans de situation, données par l’artiste Till Roeskens qui relate avec tact et humour ses déambulations dans le paysage urbain, traçant la cartographie complexe de ses déplacements, restituant les dialogues échangés avec ses interlocuteurs, détaillant l’architecture vernaculaire des lieux (l’expérience devient parfois un film, comme pour Plan de situation : Joliette, 2010), les lectures de Marcelline Delbecq, placée devant un écran sur lequel sont projetés des textes qui font office de sous-titres (Glimpses) ou les performances didactiques de Louise Hervé et Chloé Maillet proposant une « bande-annonce en acte » d’un film à venir (La bande-annonce de notre film est une performance, 2006) [2].




Projeté par fragments sur un écran, évoqué par des récits ou des légendes, virtuel dans le contexte d’un simple énoncé performatif, le film est mis en équation. Il ne s’agit plus seulement de le projeter, mais de l’inventer sous les yeux du spectateur, de l’animer, voire de le réanimer. En instituant un mode d’adresse par le biais de causeries et d’improvisations verbales, la relation au spectateur est renouvelée. Ces différentes conférences performatives expriment un vœu didactique au diapason, semble-t-il, du « tournant éducatif » de l’art contemporain qui voit des artistes inventer des dispositifs pédagogiques singuliers, démocratiques ou libertaires [3]. La conférence performative s’inscrit dans ce courant de recherche artistique lié à la production du savoir en déconstruisant la forme de la leçon, en moquant la figure du maître, en distribuant la parole [4]. On peut aussi interpréter ces performances comme des formes dérivées du dispositif du cinéma lui-même, œuvrant à son élargissement par un dialogue critique avec son histoire. Elles relèvent en effet de la tradition des spectacles de lanterne magique, destinés au divertissement et à la pédagogie, mais aussi du cinéma des premiers temps marqué par la présence du bonimenteur [5]. La conférence et le bonimenteur n’ont d’ailleurs jamais totalement disparu. Différentes formes ont subsisté dans des contextes pédagogiques : classes de physique ou de sciences naturelles dans les milieux scolaires, faisant usage d’un projecteur 16 mm, d’un épiscope ou d’un rétroprojecteur ; conférences publiques consacrées à la géographie ou à l’ufologie. Mentionnons les conférences organisées par l’association Connaissance du monde, fondée en 1945 par Camille Kiesgen, qui ont connu un réel succès populaire dans certains pays francophones. Contemporain d’un moment de diffusion du savoir où des personnalités scientifiques se livrent à des expériences filmiques et médiatiques (Alain Bombard, Haroun Tazieff, Jacques-Yves Cousteau, Michel Siffre), le succès des conférences est grand [6]. Cette tradition représente une ligne généalogique possible à laquelle les performances dans le champ de l’art contemporain font parfois allusion, de manière ironique, pour sa part d’approximation scientifique, de confusion entre le théorique et l’anecdotique, comme le soulignent les reproches adressés par l’auteur de Tristes tropiques aux « conteurs d’aventures » qui se produisent salle Pleyel.

        « Le détail des caisses emportées, les méfaits du petit chien du bord, et, mêlées aux anecdotes, des bribes d’information délavées, traînant depuis un demi-siècle dans tous les manuels, et qu’une dose d’impudence peu commune, mais en juste rapport avec la naïveté et l’ignorance des consommateurs, ne craint pas de présenter comme un témoignage, que dis-je, une découverte originale » [7].

Dans un film ironique et grave, Connaissance du monde (Drame psychologique) réalisé en 2004, le cinéaste Philippe Fernandez rend hommage au dispositif de la conférence. Interprété par Bernard Blancan, le causeur spécialiste d’ufologie, cinéaste amateur épris de théories sur les rencontres rapprochées [8], présente son film de voyage tourné sur l’île de Pâques. Connaissance du monde confond progressivement le discours érudit et quelque peu délirant du conférencier et le film d’aventure géographique au cours d’un processus troublant qui témoigne d’une curieuse porosité entre le film et la conférence.

Mais quel est le lien, de manière plus générale, entre le cinéma des premiers temps, la figure du bonimenteur, la conférence illustrée, et la « conférence performative » contemporaine ? Ce lien semble obscur, indirect. L’histoire du cinéma travaille à rebrousse-poil par retours et survivances, comme en témoignent les lacunes historiographiques entre le cinéma élargi des années 1960-70, oublié, voire refoulé, au cours des années 1980-90, et le cinéma d’exposition contemporain qui multiplie à loisir les écrans, exhibe les projecteurs, invite le spectateur à déambuler, actualisant une mémoire dont il est souvent le dépositaire à son insu [9]. Comment penser ce laps, ce retard ou ce délai ? Est-il structurel, dû à la nature fragile et éphémère de la performance, ambivalente dans sa relation à l’archive, ou traduit-il un jeu plus complexe entre le cinéma et ses élargissements ? Qu’en est-il à cet égard de la conférence ? En supposant la présence de l’artiste ou du cinéaste, projectionniste ou bonimenteur, doué de parole, et la possibilité d’une projection, réelle ou virtuelle, la conférence ressortit-elle à la catégorie du cinéma élargi, à la manière d’un nouveau paradigme ? L’actualité récente de cette forme nous invite à poser quelques jalons d’une généalogie, discontinue et lacunaire, de la conférence comme film.


« C’est la première fois qu’on introduit le ciné-club dans le cinéma, c’est-à-dire qu’on préfère la réflexion ou les débats du cinéma sur le cinéma au cinéma ordinaire en tant que tel», déclare Daniel, le héros du Traité de bave et d’éternité (Isidore Isou, 1951) sur la bande sonore du film, en sortant, de manière sans doute allégorique, d’une séance de ciné-club où est projeté un film de Chaplin, L’Opinion générale, altération du titre original L’Opinion publique. On ne peut qu’être frappé par les propositions lettristes sur le renversement de la séance de cinéma. Isidore Isou annonce la primauté du débat sur le film. « Le cinéma étant mort, on doit faire, du débat, un chef-d’œuvre. La discussion, appendice du spectacle, doit devenir le vrai drame. On renversera ainsi l’ordre des préséances » [10]. Contemporaine d’une crise de l’avant-garde à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la leçon lettriste répond à une clôture historique du médium en revendiquant un âge ciselant du cinéma, caractérisé par la « destruction des ensembles et l’émiettement des particules » et un principe d’autoréflexivité. « Je crois premièrement que le cinéma est trop riche. Il est obèse. Il a atteint ses limites, son maximum. Au premier mouvement d’élargissement qu’il esquissera, le cinéma éclatera ! », énonce Daniel, péremptoire. Il s’agit dès lors d’introduire la réflexion dans le film lui-même, de procéder à un montage discrépant qui exaspère la disjonction entre le son et l’image, de ciseler le matériau photographique par des interventions directes sur la pellicule. Parallèlement à ces différentes stratégies pratiquées par Isou dans son film, la bande sonore donne à entendre un long discours qui bonimente le projet sous la forme d’un manifeste. Le film est-il devenu une conférence fleuve [11] ? En novembre 1951 au Musée de l’Homme à Paris, lors de la présentation de son film Le film est déjà commencé ?, Maurice Lemaître propose une séance de syncinéma qui vise un élargissement du cinéma en incorporant l’intervention d’acteurs, la participation des spectateurs et des actions sur l’écran. Dans la version du film publiée en 1952, accompagnée d’une préface d’Isou et de « Notes sur le syncinéma », Lemaître insiste sur la nature à la fois discursive et performative du film en décrivant précisément la bande sonore et les interventions dans la salle. Il souhaite opérer une « transformation de la représentation cinématographique en un combiné théâtral avec participation du film, par l’introduction des éléments salle et écran dans le spectacle cinéma » [12]. Autant de propositions qui opèrent une déconstruction du rituel de la séance par un acte performatif, selon la terminologie austinienne des actes de langage, à l’instar de la théorie du cinéma infinitésimal développée par Isou qui confie à l’artiste le soin de proposer des éléments ou des énoncés pour un film imaginaire. On en trouve de nombreux exemples chez le lettriste Roland Sabatier.

           « […] l’artiste présente des notes, des ébauches diverses, des scénarii n’ayant encore, selon ses dires, jamais été rendus publics. En les proposant, l’artiste exprime le regret de n’avoir pas eu suffisamment de moyens matériels pour réaliser, notamment, des œuvres sur pellicule. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il invite son assistance, après qu’elle ait pris connaissance de ces traces, à effectuer un voyage mental, à la suite duquel il peut y avoir une discussion évolutive et inédite sur le thème de l’homologation » [13].

Ces différents exemples qui procèdent à un renversement de la séance anticipent certains postures de l’art conceptuel, à l’instar des instructions de Sol LeWitt ou des discussions de Ian Wilson. Pensons à la « dématérialisation » de l’œuvre et à l’importance accordée à la dimension verbale de la performance. On peut s’interroger là encore sur l’amnésie qui a recouvert les activités lettristes, en dépit de quelques travaux méritoires, témoignant d’une réelle résistance à inscrire dans l’histoire du cinéma ces tentatives d’élargissement.

La situation américaine est sensiblement différente en regard de la reconnaissance institutionnelle du cinéma expérimental au sein de l’enseignement artistique et du statut des avant-gardes. Sans doute John Cage aura-t-il été l’un des artistes majeurs à avoir inventé une forme originale et singulière pour ses conférences « en utilisant », écrit-il « des moyens de composition analogues à mes moyens de composition utilisés dans la musique » [14]. Dans son volume Silence, publié en 1961, plusieurs transcriptions de ses conférences sont accompagnées de didascalies et d’indications de durée et de rythme qui font de ces causeries de réelles performances musicales par leur jeu réglé de la parole.

        « Mon intention a souvent été de dire ce que j’avais à dire d’une manière qui servirait d’exemple ; qui pourrait, éventuellement, permettre à l’auditeur d’éprouver ce que j’avais à dire plutôt que d’en entendre simplement parler. Ceci veut dire que, me consacrant comme je le fais à des activités diverses, je me suis efforcé d’introduire dans chacune d’elles des aspects limités par les conventions à l’une ou à plusieurs des autres » [15].

La conférence n’est plus l’exercice d’illustration ou de promotion de l’œuvre artistique, à la manière de nombreuses conférences d’artistes qui passent en revue chronologiquement leurs productions, mais le lieu d’une invention formelle permettant à des « éléments musicaux (temps, son) de s’introduire dans le monde des mots ». Les solutions imaginées par Cage sont nombreuses, comme le révèle la typographie du volume qui multiplie les polices et les solutions graphiques. Pour « 45’ for a Speaker » (Composer’s Concourse, Londres, 1954), le conférencier dispose de deux secondes par ligne tandis que pour « Indeterminacy » (Exposition universelle de Bruxelles, 1958), constitué d’un répertoire de courtes histoires, il dispose d’une minute par récit, ce qui l’oblige à accélérer ou ralentir le débit selon la longueur de chaque histoire et induit une marge d’indétermination. Le texte de la conférence est semblable à une partition que le conférencier doit interpréter ou performer. En régulant le rythme de la parole, la conférence obéit à des principes de composition musicale qui l’assimile à une forme artistique propre.

Le 30 octobre 1968, au Hunter College de New York où il enseigne la photographie et le cinéma, le cinéaste américain Hollis Frampton présente une conférence, intitulée de manière tautologique, « A Lecture » [16]. Après avoir mis en marche un magnétophone placé devant le public, il se dirige vers le fond de la pièce près du projecteur 16 mm qu’il actionnera selon les indications de la voix préenregistrée, confiée à un alter ego, le cinéaste canadien Michael Snow. Le conférencier est-il devenu projectionniste ? Rappelons qu’un an auparavant Frampton s’écroule dans le loft de Wavelength (Snow, 1967). La conférence obéit à un lent mouvement spéculatif. Le discours envisage dans un premier temps les circonstances générales de la séance cinématographique pour questionner ensuite, de manière ironique et spéculaire, les modalités de la situation présente. Après avoir évoqué l’obscurité de la salle, le conférencier souligne les propriétés du rectangle de lumière de l’écran.

        « Ce n’est qu’un rectangle de lumière blanche. Mais c’est en même temps tous les films. Nous ne pourrons jamais en voir plus à l’intérieur de notre rectangle, seulement moins » [17].

Un film est rendu visible, nous dit-il, par un effet physique de soustraction lumineuse. Après que le projectionniste ait placé un filtre rouge devant l’objectif, la voix déclare :

        « Si l’on voyait un film rouge, s’il s’agissait là d’un film de couleur rouge, n’en verrions-nous pas davantage ? Non. Un film rouge soustrairait le vert et le bleu de la lumière blanche de notre rectangle. Ainsi, si nous n’aimons pas ce film-là en particulier, nous ne devons pas dire : Il n’y en a pas assez ici, je veux en voir plus. Nous devons dire : Il y en a trop ici, je veux en voir moins » [18].

L’énoncé est paradoxal. Alors qu’aucun film physique n’est projeté sur l’écran, le faisceau lumineux est censé contenir tous les films possibles. L’expérience a priori déceptive du spectateur se révèle riche d’enseignement philosophique, rappelant l’allégorie platonicienne de la caverne. En plaçant sa main ou un cure-pipe devant le projecteur, Frampton actualise un film possible pour en proposer une définition minimale. « Il semble bien que soit film tout ce qu’on peut mettre dans un projecteur et qui en module le faisceau de lumière » [19]. Le conférencier insiste sur les conditions de l’expérience filmique : la mécanique de précision constituée par le projecteur et la partition du film, à la fois « notation et substance de l’œuvre ». Mais que voit le spectateur ? Au-delà du référent, dit-il, c’est le support du film lui-même, constitué d’unités discrètes, qui est le sujet de tous les films. Le film est le matériau de travail du cinéaste. Grâce à l’usage d’outils mécaniques, l’artiste de cinéma (artist in film) peut se tenir éloigné de toute expression personnelle, « enjeu spécifique à une très brève période de l’histoire, aujourd’hui terminée », en retrouvant « les conditions et les limites fondamentales de son art » [20]. Définition moderniste de l’artiste de cinéma, nuancée par un soupçon d’ironie dû au léger trouble qui s’instaure entre l’artiste de cinéma, l’auteur du texte et le conférencier, en écho au texte de Roland Barthes paru l’année précédente, « La Mort de l’auteur » [21]. Qui parle ? Est-ce l’auteur du texte, présent dans la salle mais dissimulé près du projecteur, cinéaste projectionniste ? La voix préenregistrée par un second cinéaste, alter ego de l’auteur ? Où est le conférencier ? Au-delà de son caractère moderniste et autoréférentiel, la conférence œuvre à une dissociation de ses paramètres — la salle, l’écran, le projecteur, le film, le conférencier, la voix — pour proposer au spectateur une expérience d’analyse filmique, proche en ce sens des travaux du paracinema. Pensons à l’installation d’Anthony McCall, Line Describing a Cone (1973) ou aux Yellow Movies (1973) de Tony Conrad qui visent à produire chez le spectateur une réflexion sur la nature du film.

En février 1964 au Surplus Dance Theater de New York, Robert Morris donne une conférence, intitulée « 21.3 » [22]. Mimant le protocole classique de la conférence (pupitre, carafe et verre d’eau), l’artiste lit l’introduction du texte de Panofksy, Studies in Iconology, (Essais d’iconologie, 1939) mais l’auditeur s’aperçoit rapidement que les mouvements du causeur et la voix diffusée ne coïncident pas. Morris utilise en fait sa propre voix préenregistrée et procède à un play-back en suivant une partition qui codifie également chacun de ses gestes. Réduite à une sorte de simulacre burlesque, l’autorité scientifique est sapée par la chorégraphie de l’artiste. Rappelons que Morris vient d’être nommé au Hunter College au moment de sa conférence, exerçant une ironie sur sa propre situation d’enseignant [23]. Qu’il s’agisse de la discrépance opérée par les lettristes, des contraintes de lecture cagiennes ou des dispositifs techniques d’enregistrement utilisés par Morris ou Frampton, on peut s’interroger sur l’insistance de la disjonction entre le corps et la parole, l’image et le son. Ces stratégies ne sont pas sans rappeler l’art de la ventriloquie qui voit le sujet se dédoubler de manière simultanée en causeur et en écouteur, échapper au synchronisme, manifester des effets d’« inquiétante étrangeté » [24]. Sans doute l’impératif de dissociation vocale est-il la condition de possibilité d’un acte réflexif de la part de l’artiste ou du cinéaste, doubleur dédoublé à la manière d’un ventriloque. Lors de l’inauguration du Pacific Cine Centre de Vancouver en 1986, différents artistes et cinéastes sont invités à venir présenter leur conception de l’avant-garde. Participent à ce colloque Michael Snow, Patricia Gruben, David Rimmer, Joyce Wieland, Ross McLaren et Al Razutis. L’intervention de ce dernier est assez singulière. Une marionnette posée sur ses genoux, il simule une situation de ventriloquie grâce à un enregistrement, procédé technique qui lui permet d’exercer une moquerie caustique sur l’importance de la psychanalyse dans les analyses filmiques. Peu après son intervention, il bombe au bas de l’écran la phrase : « AVANT-GARDE SPITS IN THE FACE OF INSTITUTIONAL ART. » Documenté dans le film On the Autonomy of Art in Bourgeois Society, ou Splice (Doug Chomyn, Scott Haynes et Al Razutis, 1986), l’épisode témoigne d’une scission de la figure de l’artiste (ou du maître) qui lui permet d’œuvrer, par le biais d’un fétiche, à une critique radicale et désabusée de l’avant-garde. C’est en procédant à un effort de dissociation que le cinéaste est en mesure de réfléchir sa propre pratique et de définir sa position.

On remarquera que chacune de ces performances ou stratégies artistiques traduit une situation de crise : clôture de l’avant-garde, relation à l’institution, dédoublement de l’artiste en professeur. Assurément la place prise aujourd’hui par la conférence dans le champ de l’art contemporain, la manière dont le film est parfois performé sous la forme d’un simple énoncé, la dissociation ironique des éléments du discours esthétique, le renversement de la séance, sont les signes d’un âge critique (ou d’un « tournant éducatif ») du cinéma contemporain qui nous invitent à considérer la conférence comme un paradigme dans l’histoire (au futur antérieur) du cinéma élargi. Le cinéma est entré dans son âge ventriloque.


Ce texte a été publié dans la revue Décadrages, n°21-22, « Cinéma élargi », Lausanne, 2012, p. 27-37.




[1]  Cf. Jean-Marc Chapoulie, Alchimicinéma, Dijon, Les presses du réel, 2008 ; Jean-Christophe Royoux, « Un remake multipiste », http://www.pointligneplan.com/un-remake-multipiste.

[2]  Cf. Till Roeskens, « À propos de certains points dans l’espace », Cahiersdu post-diplôme, n° 1, Poitiers, École européenne supérieure de l’image, 2011, p. 120-125 ; Marcelline Delbecq, « Des impressions, des ombres », Trafic, n° 72, Paris, P.O.L., Hiver 2009, p. 136-142. ; Louise Hervé et Chloé Maillet, « La performance de Prosper Enfantin », dans Benoît Maire (dir.), Vivre dangereusement… jusqu’au bout, Paris, Palais de Tokyo, Éditions du Cercle d’art, 2011, p. 69-85.

[3]  Paul O’Neill et Mick Wilson (dir.), Curating and the Educational Turn, Londres, Open Editions / de Appel, 2010.

[4]  Thomas Clerc, « Le régime didactique de la performance », artpress 2, n° 18, Performances contemporaines 2, 2010, p. 103-112.

[5]  Lire à ce sujet Jacques Perriault, Mémoires de l’ombre et du son, Paris, Flammarion, 1981 ; Germain Lacasse, Le Bonimenteur de vues animées, Paris/Québec, Méridiens Klincksieck/Nota Bene, 2000 ou, plus récemment, Rick Altman, Silent Film Sounds, New York, Columbia University Press, 2004 ; Giusy Pisano, Valérie Pozner (dir.), Le muet a la parole, Paris, AFRHC, 2005 ; Alain Boillat, Du bonimenteur à la voix-over, Lausanne, Éditions Antipodes, 2007.

[6]  La première conférence fut donnée par Paul-Émile Victor en 1945 à la salle Pleyel à Paris. Citons parmi quelques-uns des conférenciers : Éric Courtade, Claude Pavart, Yves et Alain Mahuzier, René Vernadet, Gaston Rébuffat, Vitold de Golish, Marcel Isy-Schwart, Louis Panassié. Il serait intéressant d’étudier la relation entre la forme de la conférence géographique illustrée et les dispositifs de parole, parfois en direct, des films de Jean Rouch.

[7]  Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Paris, Plon, 1955, p. 14.

[8]  Selon le système de classification de Hynek, les rencontres rapprochées désignent l’expérience d’un témoin face à un OVNI. Ces rencontres sont de trois types en fonction de la proximité du contact, de la présence de traces ou d’un éventuel occupant.

[9]  Volker Pantenburg adresse cette question dans « 1970 and Beyond. Experimental Cinema and Installation Art », in G. Koch, V. Pantenburg, S. Rothöhler (dir.), Screen Dynamics. Mapping the Borders of Cinema, Vienne, Österreichisches Filmmuseum, 2012, p. 78-92. Lire également sous l’angle exclusivement anglo-saxon, Steven Ball, David Curtis, David, A. L. Rees, Duncan White (dir.), Expanded Cinema, Londres, Tate Publishing, 2011.

[10]  Isidore Isou, « Esthétique du cinéma », ION, n° spécial sur le cinéma, Paris, 1952 [rééd. Jean-Paul Rocher Éditeur, Paris, 1999, p. 152.]

[11]  Il serait intéressant d’étudier en relation avec la « conférence comme film » le « film comme conférence ». C’est déjà le cas d’Isou avec Traité de bave et d’éternité. Nous pourrions citer par exemple, outre les films situationnistes de Guy Debord, Le Gai Savoir (Godard, 1968), Le Camion (Duras, 1977), Hitler, un film d’Allemagne (Syberberg, 1978) ou Histoire(s) du cinéma (Godard, 1988-98).

[12]  Maurice Lemaître, Le film est déjà commencé ?, Paris, Éditions André Bonne, 1952, p. 71.

[13]  Frédérique Devaux, Le Cinéma lettriste, Paris, Paris Expérimental, 1992, p. 190.

[14]  John Cage, Silence [1961], trad. Monique Fong, Paris, Denoël, 2004, p. 11.

[15]  Ibid.

[16]  Cf. Hollis Frampton, « Une conférence », trad. S. Chauvin, repris dans L’Écliptique du savoir, Paris, Éditions Centre Georges Pompidou, 1999, p. 119-125. [« A Lecture », in Circles of Confusion, Rochester, Visuel Studies Workshop Press, 1985, p. 193-199]. L’enregistrement de la conférence par Michael Snow est disponible sur le double DVD édité par Criterion, A Hollis Frampton Odyssey, 2012,.

[17]  « Une conférence », op. cit., p. 120.

[18]  Ibid., p. 120.

[19]  Ibid., p. 122.

[20]  Ce rejet de l’expression personnelle n’est pas sans rappeler l’anecdote racontée par Cage. « Une élève de Mies van der Rohe est venue le trouver et lui a dit, “ J’ai du mal à travailler avec vous. Vous ne laissez aucune place à l’expression personnelle. ” Il lui a demandé si elle avait un stylo sur elle. Elle a dit que oui. Il lui a dit “ Écrivez votre nom ”. Elle a écrit son nom. Il lui a dit, “ Voilà ce que j’appelle expression personnelle ”. (Silence, op. cit., p. 158)

[21]  Le texte de Roland Barthes paraît d’abord en anglais en 1967 dans la revue Aspern 5+6, numéro conçu et édité par Brian O’Doherty sous la forme d’une boîte consacrée au minimalisme. Mentionnons également le texte de la célèbre conférence de Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », publié en 1969, repris dans le volume Dits et écrits I, Paris, Gallimard, 2001, p. 817-849. Foucault donnera en 1979 une version modifiée de cette conférence à l’Université de Buffalo (État de New York) où enseigne Hollis Frampton dans le Département de Media Study.

[22]  Lire notamment Anaël Lejeune, « 21.3 (ou le discours claudicant) », (Sic), n° 1, octobre 2006, Bruxelles, p. 7-15 ; Paul Bernard, « Morris schizophone, Notes sur 21.3 », Volume 04, 2012, Paris, p. 97-104. À l’instigation de Robert Morris, la performance a été rejouée par Michael Stella, filmée par Babette Mangolte, en 1994. Cette version est désormais diffusée dans les expositions rétrospectives de l’artiste.

[23]  La conférence de Frampton doit être interprétée comme un commentaire indirect, une reprise, de la performance de Morris. Notons qu’ils sont tous les deux enseignants au Hunter College en 1968.

[24]  Je me permets de renvoyer à mon texte « Un film en moins », paru en brochure pour l’exposition La Fabrique des films (Maison d’art Bernard Anthonioz, Nogent-sur-Marne, 2012), à l’initiative de pointligneplan, repris dans les Cahiers du post-diplôme, n° 2, Poitiers, École européenne supérieure de l’image, 2012, p. 76-83. Lire également, dans une perspective lacanienne, l’ouvrage récent de Mladen Dolar, Une voix et rien d’autre, trad. Christine Vivier, Caen, Nous, 2012, notamment le chapitre « “Physique” de la voix », p. 75-103.


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Légendes

Philippe Fernandez, Connaissance du monde (Drame psychologique), 2004

Isidore Isou, Traité de bave et d'éternité, 1950

 

LE FILM ET SON DOUBLE. Séance#1

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14. Avril 2015 - 20:00» 23:00
Mardi 14 avril 2015, 20h-23h



Traité d’optique

par Érik Bullot

« Si vous changez une à une toutes les pièces de votre voiture, le véhicule dont vous vous servez est-il encore celui que vous avez acheté? », s’interroge Pierre Sorlin. Ainsi en est-il, bien sûr, du cinématographe. Nous avons changé une à une toutes ses pièces, support, caméra, projecteur, tout en continuant à l’appeler du même nom. Quelque chose s’est-il perdu en route? Si le cinéma s’est métamorphosé, est-il devenu autre? Son avatar a-t-il emprunté un autre véhicule? Le corps du cinéma peut-il se dédoubler? Un film peut-il rencontrer son double ou son spectre? Est-il susceptible d’une restauration? Telles sont quelques-unes des questions qui animent cette conférence dédiée à un film d’étude oublié, Traité d’optique, réalisé en 1987, basé sur les premières pages du livre de Paul Virilio, Esthétique de la disparition, réactivé selon l’hypothèse du cinéma performatif.






A hard case speaking softly

     
  underwritten by shadows still
A soft touch playing hard to get
Silvia Maglioni & Graeme Thomson

Dans le sillage de leur recherche autour de la matière noire du cinéma, l’Univers infra-quark et les Comités Nocturnes, Silvia Maglioni & Graeme Thomson envisageront le matériau des sous-titres comme l’ombre auditive d’un film caché dont les contours dispersés gisent au sein d’images disparates réclamant, en silence, de nouveaux modes d’écoute.






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Monts de Blond, photographie Érik Bullot, 2012.

Le Gai Savoir, title still from performance, Silvia Maglioni & Graeme Thomson, 2015.







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Mots-clés: 

  • conférence-performance
  • cinéma
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